Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Tadjikistan : la future superpuissance mondiale

Tadjikistan : la future superpuissance mondiale
Publicité
Archives
7 mai 2007

Guide de survie : les problèmes de langue

En vrac, toutes les situations auxquelles vous vous exposez si vous arrivez au Tadjikistan sans avoir une licence en russe/tadjik en poche ou votre méthode Assimil sous le bras. Certaines situations sont plus dramatiques que d’autres, mais toutes ont été vécues et ont laissé des souvenirs parfois impérissables.

  • Quand on ne parle pas russe, a fortiori, on ne lit pas le russe. Donc on ne fait pas attention aux étiquettes des bouteilles d’eau qu’on s’empresse d’acheter en prévision de la prochaine coupure d’eau et, plus généralement, parce que l’eau courante n’est pas potable. Et ces petits plaisantins tadjiks vont jusqu’à faire des bouteilles identiques pour l’eau plate et l’eau gazeuse, avec pour seule différence la phrase « eau gazeuse » ou « eau pas gazeuse » écrite en toute petite et en bleu ou en rouge selon le cas. Sauf que personne ne vous a prévenu, que vous n’avez pas fait gaffe et que vous détestez l’eau gazeuse. Alors quand vous rentrez fièrement chez vous avec un pack de 6 bouteilles d’1,5 litres d’eau que vous pensez normale, que vous déposez votre trophée devant vous et que vous ouvrez sans hésiter la première bouteille afin de vous désaltérer après la montée des trois étages de votre immeuble par 35°C, et que ladite bouteille émet un pshhiiiiit très caractéristique, vous avez un temps d’arrêt, vous regardez la bouteille avec un mélange de désarroi, de dégoût et supplique muette (comme si ça allait suffire pour la vider d’un coup de ses bulles…). Accessoirement, vous vous retrouvez face à une question existentielle : que faire de ces 9 litres d’eau gazeuse ? Alors, courageusement, vous essayez de vous mettre à l’eau gazeuse. Il parait même que certains aiment ça, donc pourquoi pas vous ? Vous essayez fort, mais quand à la fin de la journée vous vous rendez compte que vous n’avez bu qu’un cinquième de votre bouteille d’eau, que votre bureau est une étuve et que vous suez comme un bœuf, vous laissez tomber par peur de visiter les urgences de l’hôpital le plus proche pour cause de déshydratation. Et vous passez à la solution B du plan « comment se débarrasser de 9 litres d’eau gazeuse » : dès qu’un invité, votre proprio, le voisin, n’importe qui se présente à votre porte, vous insistez lourdement pour qu’il boive un verre d’eau et, dans le cas présent, de l’eau gazeuse. Vous pensez même à laisser une petite écuelle d’eau gazeuse pour que les fourmis ou les cafards avec qui vous êtes apparemment en colocation puissent aussi participer à l’effort de guerre.

  • On ne peut pas refuser la pastèque qu’un vendeur s’est mis en tête de vous refourguer au marché du coin. Sauf que leurs pastèques font bien 5 kilos, que vous n’êtes pas fan de pastèque, que vous vivez seul(e) si on omet les cafards et les fourmis, mais que vous n’êtes pas sur(e) que les cafards aiment la pastèque et que de toute façon vous n’avez pas l’intention de nourrir tout ce petit monde. Bref, vous ne voulez pas cette pastèque. Mais le vendeur essaie de vous persuader que si, vous la voulez cette pastèque. Et comme c’est un dialogue de sourd qui s’engage et que malgré votre incapacité flagrante de communiquer en russe, le vendeur ne vous lâche pas, vous finissez par craquer et lui acheter sa pastèque pour moitié prix afin de pouvoir enfin rentrer chez vous. Avec le temps, vous parviendrez à ne plus vous faire refourguer de pastèque, mais pas parce que vous vous exprimez mieux en russe, non, juste parce que vous éviterez soigneusement le coin des pastèques pendant l’été et qu’après, c’est le raisin qui occupe toute la place et que ça tombe bien car vous adorez le raisin. D’ailleurs… à propos de raisin…

  • Vous ne comprenez pas pourquoi une grappe de raisin coûte 5 somonis quand la grappe d’à côté, à peine moins belle, n’en coûte qu’un. Et vous chopez une migraine épouvantable à essayer de comprendre pourquoi dans ce cas la vendeuse vous a rendu trop de monnaie (jusqu’à ce que vous vous rendiez compte que c’était pas 5 somoni, mais probablement 1,5).

  • On ne peut pas demander combien coûte un ticket de bus au contrôleur et on en vient à réfléchir pendant deux heures au « pourquoi il m’a rendu 10 dirams ? », parce qu’à chaque fois que vous avez pris le bus c’était 40 dirams, et tout d’un coup c’est 30…

  • On ne peut pas demander ce que c’est que cet attroupement dans la rue, donc on est obligé de suivre la foule pour savoir ce qui se passe ce qui pourrait être potentiellement dangereux. Ça pourrait être une manifestation de l’opposition, un discours public du président (même si c’est peu probable en raison du trop faible nombre de policiers), un mouvement collectif et spontané de faire une balade tous ensemble dans Dushanbe un dimanche soir à 20h30, ou tout simplement un mouvement d’humeur de la part de jeunes gens frustrés parce que le concert d’un chanteur très connu a été annulé au dernier moment et qui, du coup, passent leur mauvaise humeur en cassant quelques voitures…

  • Quand on reçoit son premier colis, on est obligé de faire l’autiste et de se contenter de tendre son papier au premier venu jusqu’à ce qu’on vous indique le bon guichet où la bonne femme vous remettra votre colis qu’à la condition que vous remplissiez correctement un formulaire, et comme par hasard…

  • … On est a la merci de n’importe quel formulaire en cyrillique auquel vous ne comprenez rien, et pour peu que la personne en face n’aime pas votre tête et ne fasse donc aucun effort pour vous aider à décrypter la chose, malgré votre air de chiot apeuré ou de chien battu, et bien vous pouvez poireauter longtemps avant qu’une âme charitable ne s’occupe de remplir ce fichu papier pour vous.

  • Vous ne comprenez pas pourquoi il y a deux bonhommes qui tambourinent depuis 10 minutes sur votre porte en hurlant des trucs, et vous ne leur ouvrez pas parce que l’ampoule qui éclaire parfois votre palier a grillé récemment, qu’il fait donc tout noir et que vous imaginez que ce sont deux tueurs sanguinaires qui viennent vous égorger, alors que c’est juste la police qui vient admirer votre visa.

  • Vous vous sentez étrangement seul(e) lors du mariage de votre proprio, alors qu’il y a approximativement 450 personnes autour de vous, tout simplement parce que personne ne parle français ou anglais. Alors vous mangez, vous buvez, vous faites des petits sourires un peu gênés à vos interlocuteurs (qui eux sont venus en groupe et ont l’air de s’amuser) et si vous êtes vraiment courageux vous pouvez sortir la seule phrase que vous connaissez en tadjik : « comment tu t’appelles ? ». Ça ne vous mènera à rien, certes, mais ça peut vous occuper.

  • Vous comprenez rien quand on vous interpelle dans la rue (mais ça, c’est peut-être pas plus mal). Et accessoirement, vous envoyez presque bouler un représentant de la sécurité qui cherche à vous interdire l’accès à la place où se déroule le défilé pour les 15 ans de l’indépendance du pays car vous n’avez pas d’invitation officielle, parce que vous croyiez que c’était juste un citoyen lambda qui vous faisait de l’œil et cherchait par tous les moyens à commencer une conversation avec vous… Et qu’en pareil cas la meilleure chose à faire c’est d’ignorer superbement la personne en question et de passer à côté en lui jetant un œil dédaigneux et méprisant.

  • Vous ne pouvez pas acheter d’épices ou d’herbes au marché, parce que vous n’êtes pas douée à l’origine alors il vous faut les étiquettes pour savoir que ça c’est du persil et ça c’est du thym, mais comme on est au marché, il n’y a pas d’étiquettes, donc dans le doute vous n’achetez que des patates et des tomates (parce que ça, c’est bon, il n’y a pas besoin d’étiquettes).

  • Vous vous ennuyez terriblement dans les réunions au travail où tout le monde parle russe, parce que votre voisin(e) aura oublié de vous traduire un gros bout de la conversation. Accessoirement, vous vous sentez terriblement seul quand tout le monde explose d’un rire général parce que Firuz aura fait une bonne blague, sauf que vous, vous n’avez rien compris donc vous ne riez pas et préférez vous absorber dans la contemplation d’une peau d’ongle qui dépasse de votre index gauche (et qui va se transformer sous peu en méga infection, mais ça vous ne le savez pas encore…)

  • Vous apprenez à parler énormément par gestes, et ça finit par déteindre sur votre manière de parler de tous les jours, même avec ceux qui parlent votre langue. Donc ils ont l’impression que vous les prenez pour des idiots alors que non, c’est juste devenu un tic.

  • Vous n’êtes jamais au courant quand il y a des grosses coupures de courant ou d’eau prévues longtemps à l’avance, parce que personne n’aura pensé à vous traduire l’information que vous n’êtes pas capables de comprendre par vous-même car vous ne parlez pas russe et ne regardez jamais la télé.

Publicité
Publicité
7 mai 2007

Guide de survie :l'électricité

L’électricité. Voilà bien un sujet délicat à aborder, surtout en France. Nucléaire, pas nucléaire, privatisé, pas privatisé, EDF, pas EDF. Bref, c’est source de conflit. Pourtant, vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez d’avoir un truc qui s’appelle EDF et qui vous garantit un niveau minimum de chauffage en hiver (et de clim en été d’ailleurs).

1- Les différentes coupures

  • Coupure au travail :

C’est encore le meilleur endroit pour subir une coupure de courant, enfin quand on travaille dans un truc qui s’appelle l’OIM. En effet, il y’a de fortes chances pour qu’un truc appelé groupe électrogène soit dans les parages et qu’une personne appelée Leonid parvienne à le mettre en route. Bien sur, ce n’est pas franchement comme si l’électricité n’était pas partie : on fait quand même du service minimum. Ça veut dire : pas de chauffage en hiver, ni de clim en été, pas de thé ou de café car pas de bouilloire, et pas de lumière allumée dans la mesure du possible. En gros, seuls les ordinateurs sont autorisés. Et encore, parfois même les ordinateurs se mettent en grève, mais ça n’a rien à voir avec la coupure de courant.

  • Coupure dans la rue :

A priori, ça n’est pas trop grave pour le citoyen lambda qui se déplace à pieds puisque, jusque là, je n’ai jamais vu de piéton marcher au 220 volt. En journée, on ne voit même pas la différence, sauf quand on entre dans un magasin qui n’a pas d’électricité. Le soir, en revanche, c’est une autre histoire. Sachant que les trottoirs ressemblent plus au parcours d’entraînement des forces spéciales qu’à une surface lisse et plane, la coupure de courant en milieu nocturne devient un véritable problème. Il faudra faire particulièrement attention au parcours choisi et préférer de loin la Rudaki à toutes les autres rues, même si ça doit rallonger votre trajet de moitié. Sinon, vous risqueriez de ne pas arriver entier à votre destination, voire de ne jamais arriver du tout…

  • Les menaces de coupures :

Petites blagues dignes des meilleures tortures staliniennes. En effet, on vous prévient quelques jours ou semaines à l’avance qu’il y aura une coupure quasi générale dans la ville. En général, on ne vous dit pas ça en plein mois de septembre quand les températures sont idéales. Non, c’est mieux en plein mois de décembre, quand il neige une fois par semaine et qu’il gèle tous les autres jours. Du coup, les gros frileux comme moi qui n’ont aucun moyen de chauffage non électrique (à moins de faire un grand feu de joie au milieu de mon salon) paniquent lentement au fur et à mesure que la date approche. Et comme l’incertitude est le meilleur moyen de torturer psychologiquement un individu ou un groupe d’individus, en général ils ne mentionnent pas une date définitive. Ils disent, « aux environs de », « vers telle date », etc. Et pour se poiler encore plus, ces petits malins s’amusent à changer la date sans rien dire. C’est-à-dire que lorsque la date à peu près prévue arrive, tout le monde s’attend au pire et… et bien non, l’électricité est toujours là !! Et quelques heures ou quelques jours plus tard, un petit communiqué sympathique nous informe que, finalement, les autorités ont décidé de reporter cette fameuse coupure de quelques jours, quelques semaines ou quelques mois.

  • Coupure générale :

Je ne l’ai pas tout à fait expérimentée, mais j’ai expérimenté la coupure générale dans un quartier entier. C’est très lugubre, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est que le supermarché qui se trouve dans ce quartier est lui aussi fermé. Je pensais qu’ils auraient au moins un groupe électrogène pour assurer le service minimum mais quand je me suis approchée, j’ai du me rendre à l’évidence : l’entrée était barricadée.

  • Pas de coupure :

Ça ne veut pas dire que tout va bien, que Dushanbe nage dans un océan de courant électrique. Non. Ça peut vouloir dire qu’il y a suffisamment de courant pour avoir de la lumière, des appareils électriques en marche, mais pas assez de tension. Et quand il n’y a que du 110 volts dans une ligne de 220 volts, c’est problématique pour l’état de vos appareils. J’ai fait fondre un certain nombres de prises et d’appareils électriques à cause de cette foutue tension. En outre, il est rigoureusement impossible d’avoir à la fois du chauffage et un ordinateur en état de fonctionnement au travail. Il faudra donc faire des choix parfois déchirant entre l’hypothermie sévère ou un écran désespérément noir.

2- Les différents types de chauffage

  • Chauffage normal : c’est quand mon appareil qui fait clim ou chauffage marche correctement. La prise est en bon état, il y’a de l’électricité, bref, c’est le paradis…
  • La plaque électrique : C’est quand il y’a encore de l’électricité dans le quartier, mais que le chauffage a surchauffé ou que la prise a commencé à fondre de manière inquiétante. Le chauffage principal étant H.S., il s’agit de trouver un chauffage d’appoint. La plaque électrique est toute indiquée pour faire chauffer du thé pour se réchauffer de l’intérieur, ou pour maintenir une température décente dans la cuisine.

  • La douche : C’est aussi en cas de faiblesse du chauffage principal. Le chauffe-eau étant alimenté électriquement, on peut se réchauffer en prenant des douches très régulièrement. Il ne faudra surtout pas oublier de se sécher rapidement et de s’habiller de manière appropriée. Au bout de quelques heures, le ballon d’eau chaude est de nouveau plein et on peut recommencer. PS : je sais, c’est du pur gaspillage d’eau, mais il s’agit d’une solution d’extrême urgence quand le pronostique vital de l’individu est engagé.

  • L’ordinateur portable : Le chauffage principal ne fonctionne plus depuis belle lurette, il n’y a plus de courant dans votre appartement, du coup les précédents modes de chauffage sont inutiles. Vous avez vraiment froid alors vous sollicitez le moindre neurone âgé de moins de 60 ans pour trouver une solution rapidement. Un éclair de génie vous traverse la tête quand vous posez les yeux sur votre fidèle ordinateur portable (celui qui a supporté les giclées de grenades et les infiltrations sournoises de miettes de pain). Vous allumez fébrilement votre compagnon et vous le posez de manière à ce que sa base soit en contact avec la plus grande surface de votre peau possible. Après un léger temps de chauffe, vous pourrez garantir à votre cuisse gauche dans les deux heures de tiédeur. Si vous vous refusez à avantager l’une de vos jambes au détriment de l’autre, vous pourrez retourner votre ordinateur au bout d’une heure et contempler le reflet uniformément gris du dos de votre ordinateur pendant que votre cuisse droite profite se réchauffe.

  • La bougie : Quand votre ordinateur s’éteint finalement, laissant votre cuisse droite au bord de la chair de poule, vous vous rendez à l’évidence : il va falloir de nouveau innover. Il ne reste plus qu’une seule source de chaleur potentielle : la bougie. Le problème c’est que soit ça brûle les doigts, soit ça ne chauffe pas du tout. En général, je ne me chauffe pas longtemps à la bougie et je me dépêche de me mettre au lit en enfilant au préalable la moitié de ma garde robe et en empilant l’autre moitié sur la couverture.

7 mai 2007

Guide de survie : faire ses courses

Vous allez dans un pays peu développé (122e mondial en termes d’IDH selon le PNUD), certes, mais ça ne veut pas dire que vous allez vous retrouver en pleine cambrousse à traire un yack tous les matins pour assurer votre survie. A Dushanbe, il y a des « commodités » occidentales (un peu trop parfois d’ailleurs, mais c’est un autre débat) : des restaurants, des produits frais, des surgelés, un fast-food (ouvert en octobre ou novembre 2006), des marchés, des petites échoppes et des supermarchés. Chaque endroit à ses codes, ses produits particuliers et selon ce que vous cherchez vous irez plutôt à tel supermarché ou dans une échoppe toute simple.

  • Au supermarché :

En tant qu’occidental, et surtout en tant qu’occidental à moitié autiste car incapable de communiquer avec 95% de la population, le supermarché est rassurant. Et oui, ici, pas besoin de savoir dire « œuf » (enfin si, mais on va le voir tout à l’heure), « lait », « pâtes », « sauce bolognaise », « nutella » pour obtenir l’objet désiré. Il suffit de se servir. Enfin presque. Parce que s’il est facile de distinguer les pâtes et le riz selon le dessin sur l’étiquette ou la forme du produit, il est beaucoup plus dur de faire la différence entre le sel et le sucre, ou entre la levure et le sucre vanillé.

On a également des problèmes avec les produits presque tout préparé, car les instructions qui figurent au dos ou sur le côté sont déclinés en plusieurs langues, mais pas en anglais : russe, kazakh, kirghize, azerbaidjanais (?), ou néerlandais. Et oui, les deux supermarchés que je fréquente le plus importent la majorité de leurs produits des Pays-Bas. Je n’ai rien contre les néerlandais, sauf que je ne comprends pas grand-chose aux instructions de préparation. Bien sur, comme pour Internet Explorer en suédois, on finit par reconnaître certains mots, mais c’est pas tout à fait suffisant pour déterminer avec certitude l’usage de tel ou tel produit.

Et, de toute évidence, c’est également valable pour le personnel du supermarché, qui ne comprend strictement rien à ce qu’ils mettent en rayon. Petit exemple, pas vraiment grave, mais révélateur : le vinaigre. Dans le coin « vinaigre, huile et autres condiments», il y’a différentes marques de vinaigres, tous importés des Pays-Bas. Sauf que quand une néerlandaise qui travaille à Dushanbe a examiné certains des vinaigres de plus près, elle s’est rendue compte que certains vinaigres n’étaient pas du tout faits pour être cuisinés, mais pour être utilisés comme détergent/nettoyant. Bien sur, elle est vite allée prévenir un responsable qui a déplacé le vinaigre en question dans un rayon plus adapté. N’empêche, ça incite à être doublement prudent avant d’acheter un produit dont on n’arrive pas à lire plus de deux mots. 

Le problème des œufs : il y’a environ 20% de chances de trouver des œufs dans un supermarché. Le soir ils en ont jamais (tout a du être écoulé dans la journée), mais parfois même le matin ils n’en ont pas. Et ce n’est pas en libre service, il faut donc le demander au vendeur de fromage et de charcuterie (et accessoirement retenir que « iaïtsa » = œufs). Pour les autres produits, ça change selon les supermarchés : le nutella n’est que chez Orima, et d’autres types de gâteaux ne se trouvent que dans le « pink » supermarché.

L’autre avantage des supermarchés, c’est qu’on n’a pas besoin de se décomposer quand, au moment de payer, le/la vendeur(se) sort d’un trait « 27 somonis et 43 dirams s’il vous plait » et que vous avez encore besoin de décomposer dans votre tête le « 20 » d’un côté et le « 7 » de l’autre (que vous avez tendance à confondre avec le 8 d’ailleurs) et que vous n’avez strictement jamais rien compris aux chiffres à virgule… Non, au supermarché, il y a un joli petit écran qui vous indique la somme à payer. Et d’ailleurs, c’est bien le seul endroit où vous aurez à payer un truc « virgule quelque chose ». N’est-ce donc pas l’endroit rêvé pour récupérer des dirams nécessaires à prendre bus, tram et marshrutka ? Et bien non. Parce que les supermarchés ont rarement de la monnaie (comprendre : des dirams). Donc ils rendent la petite monnaie en nature : sachet de café soluble, sachets de thé, sucettes, bonbons, cubes « maggi » de marque locale, etc… Si vous espériez aller au supermarché dans l’espoir de récupérer de quoi prendre le bus ce week-end, c’est raté !

Aussi, les rares fois ou la caissière a quelques centimes à vous rendre, elle le fait de manière forcément approximative puisqu’il la plus petite pièce que j’ai vu c’est un 5 diram (et encore, je l’ai vu qu’une fois, le reste du temps c’est 10 dirams minimum). Donc, si on doit vous rendre 3 somonis et 24 centimes, on vous rendra très probablement 3 somonis et une sucette à la fraise, ou 3 somonis et 20 centimes si vous avez de la chance. Donc, vous y avez perdu au change. Sauf que ça marche aussi en sens inverse. S’il faut qu’on vous rende 3 somonis et 92 centimes, on vous rendra peut-être 4 somonis, ou peut-être 3 somonis et 4 sachets de thé au jasmin. C’est comme ça, il faut s’y faire.

Et puis, ce qu’il faut aussi savoir, c’est que les supermarchés restent aléatoires. C'est-à-dire que quand il y’a une coupure d’électricité dans le quartier, le supermarché sera fermé. Qu’il n’est pas rare de trouver un peu de moisissure sur certains de leurs pains, donc qu’il vaut mieux faire attention quand on veut acheter du pain. Qu’ils vendent de minuscules boites de thé alors qu’il y’a écrit « FREE » ou « not to be sold » dessus (sûrement des échantillons livrés avec les commandes).

  • Au marché :

Le marché est pittoresque : petites allées tortueuses, parfois boueuses et toujours bondées. Carcasses accrochées telles quelles, alors qu’on est en plein été et qu’il fait pas loin de 40°C. Marchands entassés les uns sur les autres et qui vendent à peu près la même chose. Gamins qui poussent de gros chariots sur lesquels sont empilées les courses des uns et des autres. Joyeux vacarme car si un chariot passe à peu près dans les allées, 20 chariots allant dans tous les sens passent plus difficilement, et si on ajoute à ça les vieux qui avancent à 2 à l’heure, courbés sur leur cannes, les femmes au tour de taille conséquent, et plus généralement la surpopulation ambiante, ça devient franchement le bordel. Il faut essayer de se faufiler, rentrer le ventre et les pieds (à cause des chariots) et si on aime moyennement la foule, éviter les samedis et dimanches après-midi. A part ça, le marché, c’est formidable : les fruits et légumes sont à des prix dérisoires (même s’ils sont doublés rien que pour vos beaux yeux d’étranger(e)), on trouve tout plein de camelote directement importée de Chine à des prix tout aussi dérisoires, et des dizaines de variétés de noix qu’on peut goûter à loisir avant de se décider.

Bien sur, il y a aussi des pièges à éviter. Notamment comment ne pas se faire refourguer trois fois plus de nourriture que nécessaire. J’ai déjà évoqué le problème de la pastèque, mais il y’a aussi le problème des oignons, des carottes, ou des pommes. En fait, tous ces problèmes sont liés au problème du chiffre à virgule. Les commerçants sont très réticents à accepter des somme pas rondes (ils n’ont qu’à faire des prix ronds alors !). Du coup, quand le kilo d’oignon est à 80 dirams, vous n’aurez jamais un kilo d’oignon. Le commerçant bataillera ferme pour vous refiler un peu plus d’un kilo afin que vous lui donniez un somoni. Pareil quand le kilo de pomme est à 1 somoni 50. La vendeuse ne vous lâchera pas tant que vous n’aurez pas accepté d’acheter un kilo et quelques de pommes pour 2 somonis.

Vous l’avez compris, ce n’est pas non plus au marché que vous allez faire le plein de pièces (ou de billets d’ailleurs) de 20 dirams pour prendre le bus.

Parmi les autres joies du marché, outre les chiffres à virgule que vous ne captez qu’une fois sur deux, il y’a les fruits et légumes mystères (c'est-à-dire que ça ne ressemble à rien de ce que vous connaissez, donc vous restez prudemment à distance), le kilo de carotte qui ressemble à un échantillon soigneusement sélectionné de tous les types de carottes qu’on élimine au cours de la phase de tri en Europe (les jumelles, les tordues, les tellement courtes qu’on dirait des patates légèrement oranges, les couvertes de pustules, etc, le tout recouvert de boue séchée). Il vaut également mieux toujours avoir une poche plastique dans son sac car ces radins de vendeurs de pomme de terres refusent systématiquement de donner des poches avec les patates et que ça fait un peu désordre (et sale) en vrac dans le sac, et surtout ça endommage vos belles pêches ou grappes de raisin.

  • Dans les petits magasins :

Les petits magasins, ce sont les échoppes qui font épicerie. C’est assez pratique car ça évite de courir au supermarché qui n’est jamais tout près. Par contre, ils n’ont pas toujours tout. Déjà, ils n’ont jamais de nutella ou de chocolat décent. Ensuite, ils n’ont pas toujours d’œuf (même si c’est plus rare qu’au supermarché). Ils n’ont pas toujours des bidons de 5 litres d’eau potable (ça doit dépendre des arrivages). Ils n’ont pas non plus toujours de lait. Et enfin, ils n’ont pas toujours la monnaie. Là, c’est plus problématique, et c’est une question de confiance. La seule fois ou ça m’est arrivé, c’était dans mon échoppe habituelle, alors le propriétaire m’a dit que je paierai mes trois somonis la prochaine fois. Ce que j’ai voulu faire dès le lendemain, sauf qu’il était fermé.

Quand ils ont des œufs, du lait et de la monnaie, alors vous devriez être en mesure de récupérer ces précieux dirams qui vous permettront de faire la feignasse le weekend prochain et de prendre le tram au lieu de marcher.

  • Autres :

Dans les autres types de magasins possibles, il y a ce que j’appelle des « maisons-magasins ». Le principe est simple : une maison normale, sauf qu’un des rebord de fenêtre a été transformé en mini-étal. Il y’a des barreaux à la fenêtre pour ne pas qu’on vole, et l’avantage c’est que c’est presque tout le temps ouvert (même le soir à 20h30). Si la lumière est allumée et la deuxième fenêtre ouverte, alors c’est bon. Il ne reste plus qu’à espérer que la femme soit dans le coin pour vous servir. Sinon on peut appuyer sur une minuscule sonnette accrochée à un montant de la fenêtre. Pour ceux qui, comme moi, n’avaient pas remarqué ce détail utile, on peut aussi essayer de frapper au carreau jusqu’à ce que quelqu’un vienne.

L’avantage, c’est que ces maisons sont disséminées un peu partout donc ça évite de courir partout pour un bout de pain. Autre avantage, elles ont souvent des œufs (en tout cas ma maison-magasin habituelle a toujours eu des œufs). Inconvénient : à part des œufs, des sachets de café soluble, quelques bonbons, des cigarettes, du kefir, des barres chocolatées, et du pain, il n’y a pas grand-chose.

Et puis sinon, il y a des étals en pleine rue : leur caractéristique, c’est qu’ils sont vraiment tout petits. En général, c’est juste un cageot renversé qui sert d’étal. Comme pour les maisons magasins, le choix et les quantités sont très restreints. Je n’y ai jamais vu d’œufs (oui, je sais, c’est une obsession les œufs chez moi…). Et ils sont toujours tenus par des femmes, en général des vieilles femmes.

7 mai 2007

Guides de survie : Les communications

Vaste sujet que celui des communications. J’ai déjà commencé à en parler plus ou moins en parlant des routes et autres voies de communication. Je vais essayer de dresser un petit constat des moyens de communications « modernes » (c’est-à-dire tout ce qui n’est pas courrier délivré à dos de yack…). Nous verrons donc successivement :

Internet

Le téléphone mobile

Le téléphone fixe

Les "cabines" téléphoniques

Le courrier

1- Internet

Pour nous autres européens qui avons accès à l’ADSL, câbles ou autres technologies de pointe depuis quelques temps déjà, nous qui sommes familiers des 512, 1024 et autres chiffres vertigineux, la connexion tadjike normale nous fait l’effet d’un retour brutal au moyen-âge. 56 kbits, c’est le maximum de ce que j’ai pu obtenir que ce soit chez moi ou au travail. Et encore, quand j’avais 56 kbits chez moi, je sautais presque de joie et entamais une danse de la victoire autour de table à repasser. Donc on oublie tous les sites de téléchargement, on oublie la consultation d’e-mails vite fait le matin avant de partir à la douche (parce que vite fait, ici ça veut dire 20 minutes), on oublie ses habitudes de surf sur plusieurs site en même temps car ni la connexion, ni le matériel informatique mis à disposition au boulot ne le permettent. Déjà, si on essaie d’ouvrir un document Word tout en lançant le logiciel de messagerie de l’OIM, il y a environ 1 chance sur 2 pour que l’ordinateur se bloque définitivement.

Du coup, quand on essaie de mettre en ligne les super vidéos qu’on a filmées des répétitions des défilés de militaires, et qu’on lit l’avertissement suivant : Poids maximum de la vidéo – 150 Mo, et en dessous en plus petit : « l’envoi de votre vidéo peut prendre un certain temps suivant sa taille et la performance de votre connexion », on rit et on se prépare au pire. Ce qui fait plus rire encore, c’est le : « L’envoi d’une vidéo de 5 Mo avec une connexion ADSL peut durer jusqu’à 5 minutes ». Ici, avec ma connexion, ça prend au moins 15 minutes. Pour les plus grosses vidéos (22 Mo) ça m’a pris jusqu’à une heure !! Une heure, en soi, ce n’est pas si terrible. Le problème, c’est qu’on a rarement une heure de connexion sans interruption. En général, tous les quarts d’heures nous avons droit à une micro coupure de connexion. C’est comme pour les ordinateurs. Ça dure une demi seconde, mais c’est suffisant pour vous mettre votre travail en l’air. Là, c’est pareil : une demi-seconde et vous pouvez dire adieu à vos 75% de vidéo transférée et tout recommencer. Bref, la vidéo de 150 Mo on verra ça quand on sera de retour à la maison.

Ceci n’est valable qu’à Dushanbe bien sur. Dans les villages plus excentrés voire carrément reculés, ils n’ont déjà pas de lignes téléphoniques et seulement 2h d’électricité par jour, alors vous pensez bien que l’accès à Internet c’est totalement impensable (déjà, il faudrait qu’ils aient des ordinateurs !). Même si je sais que l’OIM, dans le cadre d’un de ses projets, essaie de passer des accords avec les fournisseurs d’Internet tadjiks pour qu’ils mettent en place un réseau jusque dans les points les plus reculés.

2- Le téléphone mobile

Déjà ce qu’il faut savoir (et que j’avais fini par remarquer toute seule), c’est qu’on ne paye pas les 10 premières secondes d’un appel téléphonique ici. Donc, les conversations ici sont toujours inférieures à 10 secondes, et sont répétées une dizaine de fois pour pouvoir faire une phrase en entier. Quand quelqu’un près de vous reçoit un coup de fil, vous pouvez être sure que vous allez connaître sa sonnerie par cœur dans les 10 prochaines minutes. Surtout qu’ils mettent leur sonnerie toujours au volume maximum (doivent pas connaître le mode vibreur) et qu’ils attendent toujours un certain moment pour décrocher, même quand ils savent pertinemment que c’est leur interlocuteur précédent qui est en train de les rappeler… Donc, ils finissent par décrocher, aboient deux ou trois mots en tadjik (ou en russe) et raccrochent. Et ça, 10, 20, 30 fois… Je ne sais pas si ils parviennent à se dire beaucoup de choses comme ça, mais c’est particulièrement saoulant à la fin. Ce que j’apprend plus tard, en revanche, c’est que quand on est appelé, en imaginant que la conversation dure plus de dix secondes, on paie aussi (moins que celui qui appelle, mais quand même). Du coup, ça donne moyennement envie d’être appelé.

Ensuite, le téléphone portable, comme en Europe (et dans beaucoup d’autres endroits aussi j’imagine) n’est pas seulement un outil pour pouvoir communiquer avec quelqu’un ne se trouvant pas à portée de voix. Ici le portable fait tout : téléphone, appareil-photo, caméra, et même chaîne stéréo. J’ai en effet remarqué que les propriétaires de portable avaient tendance à se promener avec leur appareil jouant un morceau plus ou moins reconnaissable avec le volume à fond. Enfin, le portable semble être roi puisque, en plein staff meeting, quand le téléphone d’un collègue émet sa sonnerie stridente (car il n’est pas question de le mettre ne mode vibreur ou silencieux), vous verrez votre collègue se détourner légèrement, décrocher, gueuler un « Allo » dans le téléphone (parce que l’interlocuteur n’entend pas bien, ou alors votre collègue pense que son interlocuteur n’entend pas bien) avant de se lever et de quitter la pièce pour continuer sa conversation en privé. Pendant ce temps, le staff meeting aura continué comme si de rien n’était et il n’y aura que vous pour avoir les yeux éberlués d’un merlan frit devant un tel comportement.

Vous l’aurez compris, on peut très vite haïr les portables…

3- Le téléphone fixe

Appeler en interne, à l’OIM par exemple, c’est pas compliqué. Chaque bureau a son petit numéro et puis c’est bon. Par contre, quand il faut sortir du cocon protecteur de l’organisation pour affronter la jungle des communications urbaines, c’est autre chose !!

Tout d’abord, faire le 9, pour accéder au réseau « normal ». Ou bien le 83, ou le 84 (ça dépend, parfois ils marchent tous, parfois il faut tomber sur le bon). Puis il faut attendre une nouvelle tonalité. Parfois elle vient, souvent elle ne vient pas. Ou alors pas du premier coup. Dans ce cas, il faut être bête et méchant (bête ça va, méchant, j’ai encore des progrès à faire) et recommencer jusqu’à ce que ça fonctionne. Une fois que la nouvelle tonalité résonne agréablement à vos oreilles, vous pouvez composer le numéro de votre correspondant.

Après une étude poussée de la question (statistiques à l’appui), j’en ai déduit qu’il fallait également composer le préfixe « 2 » avant le numéro en question. Là, soit vous avez de la chance et la ligne sonne jusqu’à ce que votre correspondant décroche, soit si vous avez moins de chance, la sonnerie s’interrompt sans aucune raison, ou alors votre correspondant décroche mais vous ne comprenez pas ce qu’il dit car votre ligne est « parasitée » par quelqu’un d’autre qui parle tadjik de manière très animée. Les jours où vous n’avez pas de chance, soit ça sonne occupé, soit une charmante voix préenregistrée vous indique en russe, tadjik, puis anglais que « le numéro que vous avez composé n’est pas en fonctionnement ».

Et puis, parfois, c’est le téléphone chez vous qui ne marche plus. Sauf que, bien sur, c’est assez handicapant car en général vous vous en rendez compte quand vous cherchez à vous servir du téléphone parce que vous en avez marre de ne plus avoir d’eau, parce que votre unique mode de cuisson ne fonctionne plus ou parce que vous venez de faire fondre la moitié de la multiprise en voulant aspirer votre cuisine. Et comme c’est toujours le week-end que ça se produit et que vous n’avez pas voulu avoir de portable (parce que vous haïssez les portables pour les raisons sus-mentionnées), et que donc vous n’avez d’autre solution que d’attendre lundi matin pour téléphoner à votre proprio, et bien vous vous sentez terriblement seul(e) et frustré(e).

4- Les "cabines" téléphoniques

Une chose est sure : vous ne vous servirez d’une « cabine » téléphonique (le terme téléphone public me semble plus approprié d’ailleurs) que si vous n’avez vraiment pas le choix. C’est-à-dire si vous êtes à l’agonie sur le bord de la route, à 10 kilomètres de l’habitation la plus proche et qu’il n y a aucune voiture à l’horizon que vous pourriez arrêter. Dans ce cas, si vous tombez sur un téléphone public (il n’y a guère de chances, mais chut, c’est moi qui raconte !!) vous avez le droit de remercier le ciel.

En ce qui concerne l’aspect pratique de la chose, je vous conseille d’oublier les cabines téléphoniques France Télécom qui fonctionnent avec des cartes téléphoniques. Oubliez même celles qui fonctionnent à pièces. Oubliez les téléphones à touches. Oubliez toute notion de conversation privée à l’abri des oreilles indiscrètes. Les téléphones publics sont situés n’importe où : contre un mur, sur un poteau au bord de la route. Ils ont un vieux cadran qui tourne. Ils sont bleus. Et on ne met pas de pièces. On téléphone, puis on paye un gamin (le plus souvent) qui passe sa journée à côté de « son » téléphone. Après avoir terminé votre conversation, vous prendrez soin d’aller à l’échope la plus proche pour acheter une bouteille de vodka bas de gamme (celle qui donne mal à la tête) afin de désinfecter soigneusement toutes les endroits de votre corps qui ont pu être en contact avec n’importe quelle partie du téléphone. Vous avez le droit de boire une rasade de vodka au passage (même si vous n’avez pas léché le combiné) juste pour essayer d’oublier l’épreuve traumatisante que vous venez de traverser. Mais attention, vous risquez d’avoir mal à la tête demain.

5 - Le courrier

  • Le courrier normal

Le courrier normal, c’est le courrier qu’on met dans une enveloppe timbrée qu’on dépose dans une boîte aux lettre, qui est ramassé par un facteur, trié et transporté avec amour jusqu’à l’adresse de votre correspondant soigneusement indiquée par vos soins. Enfin, ça c’est la théorie. En pratique, y’a des retards, des pertes, des adresses incomplètes, des facteurs incompétents, etc. Enfin, ça c’est en France. Concernant le courrier normal au Tadjikistan, je peux vous dire que les boites aux lettres ici sont bleu ciel, mais j’ai jamais vu de facteur, j’ai jamais vu quelqu’un poster une lettre, j’ai jamais vu une voiture bleu ciel écrit « la poste », j’ai jamais vu quelqu’un relever son courrier, et au vu des boites aux lettres de mon bâtiment, il semblerait que personne n’ait reçu de lettres depuis la chute de l’URSS.

Pourtant, les lettres arrivent vraiment. J’en ai reçu deux ou trois (en plus des colis d’aide humanitaire…), mais à chaque fois j’avais pris soin de donner l’adresse de l’OIM et je n’ai jamais vu le facteur apporter directement la lettre. Si ça se trouve, il n’y a pas de facteur et chacun doit aller à la poste centrale pour vérifier s’ils ont des lettres ou pas ?

Bref, le fonctionnement du trajet postal au Tadjikistan reste un mystère pour moi. J’ai pourtant envoyé des lettres aussi, trois même. Et même pas à l’étranger. Sauf que mes lettres à moi n’ont jamais transité par les services postaux et c’est une très bonne chose, car la chose en elle-même s’est révélée suffisamment traumatisante pour que j’en garde un cuisant souvenir (en plus de me faire perdre une journée pour rien). C’est ce que j’appelle envoyer une lettre (ou plusieurs) par courrier privilégié.

  • Le courrier privilégié

Tout d’abord, oubliez les expressions trompeuses et faussement rassurantes comme « aussi simple qu’une lettre à la poste » et ses dérivés, car ici, elles n’ont pas d’équivalent. Pour vous faire comprendre le bazar que c’est d’envoyer une lettre au Tadjikistan, je vais vous donner mon exemple personnel : l’envoi de trois lettres. Les deux premières doivent aller à des ministères tadjiks, la troisième à l’ambassade de Russie au Tadjikistan.

1ère étape : les écrire. Mais je ne sais pas faire les lettres en russe, c’est donc ma collègue Mehrinisso qui s’en charge. Outre qu’elle met deux heures à écrire ces lettres, parce qu’il faut ménager les formes et faire des phrases de trois kilomètres de long avec plein de trucs du genre « l’obligeance de bien vouloir être assez aimable pour étudier notre requête et fournir l’information que le bureau de Dushanbe de l’OIM a le culot de respectueusement demander à votre respectable et respecté Ministère », il faut qu’elle écrive presque deux fois plus de lettres que demandé.

Au début je ne comprends pas, alors elle m’explique que pour tout courrier adressé à un quelconque ministère tadjik par une quelconque organisation étrangère, il faut impérativement une lettre d’introduction (cover letter) à envoyer au MID (Affaires Etrangères) avec la lettre destinée à l’autre ministère. Le MID va examiner ledit courrier afin d’être certain que le contenu de ma lettre n’est pas subversif et ne vise pas à former un complot pour renverser le chef de l’Etat. Je vous vois rire, mais c’est très sérieux !! Depuis la révolution kirghize (le petit pays juste au dessus du Tadj) en 2005, l’administration (enfin, surtout le président) a très peur que le même scénario se reproduise ici aussi. Du coup, toutes les ONG ou OI sont considérées comme suspectes et doivent informer le MFA de toutes leurs actions, du courrier qu’elles envoient à chaque ministère, etc. Non seulement c’est chiant, mais cette histoire ralentit considérablement le travail de l’administration, qui ne brille pas par sa rapidité en temps normal déjà.

2e étape : les faire signer par Mahmoud, le chef de l’OIM. C’est également un exercice sportif qui requiert un timing sans faute et de la réactivité pour le choper au vol. Ma stratégie (enfin, la stratégie de pas mal de personnes) consiste à me poster en embuscade dans le bureau voisin du sien, avec la porte ouverte afin d’être avertie dès que Mahmoud passe dans le coin, puis de lui sauter dessus et de lui fourrer la pile de lettres dans les mains. Si ça fonctionne, il devrait vous accorder 2 minutes d’attention durant lesquelles vous devrez le convaincre que c’est super urgent et qu’il devrait les signer dans la foulée. En général ça ne marche pas et il faudra vous résoudre à les lui laisser pour qu’il les lise et les signe. Sauf que ça veut dire qu’un travail d’usure vous attend pour parvenir à les récupérer de nouveau, et signées. Dans le cas présent, j’ai du attendre le lendemain pour les récupérer. Et j’ai du aussi les faire relire par un autre de mes collègue qui a, comble de malchance, trouvé des fautes. Mes pauvres lettres ont donc été confié à ce même collègue pour un petit lifting avant d’être finalement signées par Mahmoud.

3e étape : référencer les lettres. Pour toute correspondance, il faut indiquer un numéro de lettre, et remettre une photocopie de la lettre en question à Mavsuma, une autre collègue. Sauf que celle-ci n’est pas là pour encore près d’un mois, et sa remplaçante a l’air d’être absente en ce jour crucial. Donc je vais quémander auprès d’une autre collègue un peu d’aide pour attribuer des numéros à mes trois pauvres lettres. Ce qui se fait sans trop de problèmes. Les photocopies réveillent un peu plus de mauvais souvenirs enfouis dans mon subconscient le plus profond. La photocopieuse date de l’ère glacière, a rarement du papier (donc il faut aller en demander à l’un des garde qui ont pour seul point commun de ne pas parler plus de trois mots d’anglais), n’a aucune fonction élaborée de tri, agrafage, photocopie recto-verso, etc, avale toujours trop de papier à la fois et s’étouffe (du coup faut tout ressortir à la main et ça salit méchamment les mains voire les manches), met trois plombes à réagir. Bref, le passage à la photocopieuse peut-être considéré comme une épreuve pour les nerfs.

4e étape : trouver des enveloppes (oui, parce qu’envoyer des lettres sans enveloppe, c’est pas super pratique)… La question est : où en trouver ? J’ai regardé dans tous les tiroirs et recoins de mon bureau et je n’en ai pas trouvé. Je vais donc déranger un collègue au hasard qui me dit d’aller voir dans le bureau d’untel qui est fermé… Quelques dizaines de minutes plus tard, je récupère des enveloppes.

5e étape : les noms et adresses des destinataires. Pour les adresses du MID, je vais voir Gairat, un de mes collègues qui passe plus de temps à poireauter dans ledit MID pour obtenir divers papiers que dans son propre bureau. Il connaît effectivement les adresses, mais il me dit que c’est pas la peine de l’écrire, ce sont les chauffeurs qui vont directement déposer les lettres. Il faut juste écrire le nom des ministères et l’adresse de l’OIM pour la réponse. Et il ne faut pas non plus fermer les enveloppes (en gros, à quoi ça sert de mettre une enveloppe si c’est pour la laisser ouverte et ne même pas mettre d’adresse ou de timbres dessus ?), pour que les services de sécurité puissent voir que ce n’est pas une lettre piégée ou une autre fantaisie de ce genre. Gairat écrit donc tout ce qu’il y’a à écrire, parce que mon écriture cyrillique ressemble désespérément à un CP apprenant péniblement à écrire et j’aimerais, autant que possible, faire une première (relativement) bonne impression… Et tant qu’à faire, il se propose pour emmener les lettres aux ministères concernés, mais pas avant demain car nous sommes maintenant en fin d’après-midi (c’est-à-dire 16h30) et Gairat ne retourne au MFA que le lendemain matin !

Il y’a une autre étape, facultative, mais qui arrive parfois, c’est le suicide par défenestration. En général, cette étape fait suite à la découverte que ledit Gairat n’a pas emmené la lettre au bon ministère. C’était juste un document à faire parvenir le plus vite possible à une personne du MVD (l’Intérieur) et Gairat a apporté la chose le plus vite possible au MID (Affaires Etrangères). Donc il faut tout recommencer et un jour et demi s’est écoulé entre temps…

7 mai 2007

Guides de survie : Les autorités

Héritage du système soviétique oblige, l’administration (et les autorités de manière plus générale) est lourde, voire très lourde en plus d’être lente et incompétente. Certes, on pourrait se demander si cela est vraiment du à l’héritage soviétique puisque, aux dernières nouvelles, la France n’a jamais fait partie de l’URSS et pourtant son administration n’est guère plus rapide. L’élément qui différencie notre chère administration des autorités tadjikes, en tout cas pour le moment, c’est la corruption. Je vous propose un rapide tour de la question à partir de mon expérience personnelle avec ce que j’appelle « les autorités » (que ce soit la police, les responsables gouvernementaux, l’administration, etc.) ainsi que les expériences personnelles de personnes avec qui j’ai pu discuter.

Sommaire :

  1. Les administrations
  2. La police

1- Les administrations

  • A l'aéroport

C’est, bien évidemment, le premier endroit du Tadjikistan que l’on foulera et c’est donc là que le touriste lambda (sisi, il paraît que certains s’égarent par ici de temps à autres) ou l’homme d’affaire fraîchement débarqué fera son « baptême de l’administration ». En effet, comment éviter d’avoir affaire aux autorités quand 90% des nouveaux venus n’ont pas encore de visa parce que les représentations tadjikes dans le monde ne pullulent pas ? Rassuré par les témoignages divers et variés recueillis un peu partout, l’occidental moyen (j’imagine que c’est à peu près pareil pour les orientaux, les méridionaux et les septentrionaux, mais on va simplifier en parlant des occidentaux) arrive à l’aéroport sans trop d’angoisse : oui, il va pouvoir obtenir son visa sur place.

Ce que l’occidental moyen ne sait pas (ou sait sans avoir mesuré toute la portée de la chose), c’est qu’il va arriver à l’aéroport de Dushanbe en plein milieu de la nuit (aux alentours de 3h pour les plus chanceux qui n’auront pas eu de retard au décollage pour cause de manque d’organisation/discipline de la part de la majorité des passagers, sinon vers 4h voire 4h30), qu’il va donc être très fatigué et beaucoup moins vif/alerte/réactif que d’habitude. Cela va déjà lui prendre 10 bonnes minutes pour digérer l’information suivante : oui, l’endroit minuscule où s’entassent plein de gens, 4 cabines avec tourniquets et deux trois garde-frontières, c’est bien le hall d’arrivée de l’aéroport international de Dushanbe et non pas juste une salle d’attente ou de transit.

Notre occidental moyen, qui peine à garder ses yeux ouverts, se demande alors ce qu’il est censé faire pour obtenir son visa. Il a beau scruter les environs, il ne voit aucune pancarte « Visa ». Il y’a bien une sorte de petite table avec des papiers dessus. Il s’approche donc des papiers, mais cela ne l’avance pas beaucoup tout est en cyrillique (tadjik ou russe). Il regarde autour de lui, mais les étrangers sont en extrême minorité, donc l’occidental moyen se dit que ça ne lui servira à rien de « faire comme les autres » et suivre la foule, puisque la foule n’a certainement pas besoin de visa…

Alors, il s’assoit dans un coin et observe un moment : il y a un gros embouteillage qui se forme aux alentours des tourniquets (apparemment, les voyageurs n’ont pas encore compris qu’on pouvait faire la queue et que ce n’était pas dramatique si on n’était pas le premier à passer le fameux tourniquet). Il y’a également une minuscule salle attenante, que notre occidental moyen prend pour des toilettes, en raison de la taille de la chose, de l’odeur qui s’en dégage et du va-et-vient des passagers. Sauf que, en regardant de plus près, notre occidental fatigué se rend compte que beaucoup de personnes entrant ou sortant de ladite pièce sont des étrangers. Alors il se lève et s’approche prudemment de la pièce qui, en fait, ne sont pas des toilettes mais l’endroit où l’on obtient son fameux visa.

Nous sommes à l’aéroport international de Dushanbe, il est donc hors de question d’imaginer qu’un système efficace de délivrance de visa (ne parlons même pas de système automatisé) soit mis en place. Au fond de la minuscule petite pièce, une table avec deux chaises sur lesquelles sont assis deux officiers en uniforme. Sur la table, un classeur, une sorte de tiroir caisse et un tas de visas non remplis. Devant la table, une grosse masse humaine. Finalement, il n’y a pas que les locaux qui ne savent pas faire la queue et qui n’ont pas compris que ce n’était pas dramatique d’obtenir son visa à 4h10 ou à 4h50, car, au point où on en est, la nuit est fichue puisque le jour est déjà levé.

L’officier en charge des visas prend le passeport des personnes les unes après les autres, essaie de déchiffrer le nom de la personne (c’est pas son alphabet maternel, faut lui pardonner), prend également la précieuse lettre d’invitation que le prétendant au visa se sera fait envoyer par une quelconque organisation/personne, cherche dans le gros classeur le double de cette lettre d’invitation (que la « quelconque organisation/personne » aura pris soin d’envoyer avant l’arrivée de l’occidental moyen) afin de comparer les deux. Sauf qu’on dirait qu’ils n’ont pas encore mis au point de système cohérent de recherche. Les lettres d’invitation ne sont pas classées par ordre alphabétiques, ni par ordre chronologique. Je ne sais même pas si elles sont classées. Une fois que les deux lettres d’invitation ont été attentivement scrutées, l’officier en charge des visas reporte son attention sur le prétendant qui lui fait face. Il lui demande alors pourquoi il est ici (c’est écrit sur la lettre d’invitation, mais on ne sait jamais, peut-être que c’est un imposteur qui a volé le passeport, le visage et la lettre d’invitation de quelqu’un d’autre et tente d’entrer illégalement au Tadjikistan), combien de temps il va rester et deux trois autres trucs. Sauf que le monsieur chargé des visas ne parle pas anglais. Et que vous ne parlez pas un mot de russe (à part bonjour, s’il vous plait, merci et au revoir). Il faudra donc prier pour qu’un autre prétendant au visa parle anglais ET russe et se charge de la traduction. De toute façon, ce blabla ne sert pas à grand-chose (sauf à perdre du temps) car que vous répondiez que vous restez 1 mois, 6 mois ou 10 ans, vous ne pourrez obtenir qu’un visa d’un mois à l’aéroport, que vous devrez renouveler ensuite pour la durée nécessaire à votre séjour.

Satisfait de vos réponses, l’officier en charge des visas se met donc en tête de remplir le visa vierge. Il a toujours votre passeport entre les mains, votre lettre d’invitation qui mentionne votre identité, il sait très bien que vous ne parlez pas russe mais il vous demande quand même vos noms et prénoms. Fatiguée du voyage et lasse de cette lenteur administrative, vous répondez avec votre plus bel accent français afin que vos noms et prénoms soient totalement intranscriptibles en alphabet cyrillique et que l’officier soit obligé de lever les yeux vers vous avec un air ahuri voire dégoûté que vous puissiez avoir un nom et un prénom aussi barbare (pour lui). Il regarde donc de nouveau votre passeport et essaie de retranscrire au mieux vos nom et prénoms à partir de l’alphabet latin. Il termine en signant le tout d’une patte de mouche et vous réclame 66$. Bien sur, vous n’aviez pas pensé que vous deviez avancer les frais de votre visa et vous n’avez que des euros sur vous. Qu’à cela ne tienne, notre officier converti la somme en euro, puis recalcule ce qu’il doit vous rendre en dollars et en somoni aussi.

Vous avez enfin votre visa et vous passez facilement le tourniquet puisque depuis le temps, tous les locaux sont passés de l’autre côté depuis longtemps et il n’y a plus de file d’attente. Vous récupérez facilement votre valise (puisqu’il n’en reste plus beaucoup) et vous essayez de sortir. Mais il vous faudra d’abord passer votre valise aux rayons X, attendre trois plombes parce que les gardes auront décidé de fouiller minutieusement le bagage précédent le votre, donc ils auront arrêté la machine alors que votre valise était en plein milieu, donc vous êtes coincé tandis que les suivants contournent allègrement le point de contrôle et sortent au grand air (presque) en sifflotant.

Quand vous sortez, vous êtes heureux(se) de respirer enfin l’air tadjik mais ce que vous ne savez pas c’est que vous n’avez pas rempli de déclaration de douane, obligatoire en principe, car il n’y en avait plus.

  • Le Ministère des Affaires Etrangères

Difficile de les éviter, puisque c’est eux qui prolongeront (ou ne prolongeront pas d’ailleurs) votre visa d’un mois durement acquis à l’aéroport. Un mois, ça parait suffisant pour faire renouveler son visa. Pas au Tadjikistan. C’est même assez limite, voire trop court. Il faut d’abord faire enregistrer son visa. C’est très important car sans « registration », on aura du mal à quitter le pays, et on aura des problèmes lors de tous les contrôles policiers qui jalonneront notre séjour. Ensuite il faut déposer une demande de visa de 1, 3, 6 mois ou d’un an, et revenir quand on vous le dit. Sauf que quand vous revenez le jour dit, votre visa n’est pas fait et on vous dit de revenir le lendemain. Le lendemain, même topo. « Revenir demain », c’est la devise du MFA (mais des autres ministères aussi… c’est juste qu’en tant qu’étranger, on a plus affaire au MFA qu’aux autres, c’est tout). Et puis, quand vous commencez à vous inquiéter car il vous reste seulement une semaine avant que votre premier visa n’expire, ils vous disent subitement que votre dossier doit être refait car la photo ne va pas. Tout ça parce que la photo en question a été scannée à partir du passeport et imprimée en couleur sur du joli papier. La photo est peut-être de meilleure qualité qu’une photo faite dans un photomaton, mais c’est pas grave, on va faire une crise jusqu’à ce que l’occidental (en l’occurrence l’occidentale, parce que c’est moi) moyen apporte une photo sur laquelle il fait une tête sinistre (bien loin du sourire de la photo du passeport) mais faite par un photographe du coin, donc acceptée. Finalement, le visa sera délivré 2 jours avant la date d’expiration du premier.

Sauf que parfois, l’occidental n’est pas aussi chanceux. Et bien qu’il ait fait les démarches en temps voulu, les employés du MFA mettront tellement de temps que le visa ne pourra être renouvelé dans les temps. Et du coup, l’étranger se retrouvera en situation irrégulière (à cause de leur propre lenteur, mais ça ils s’en foutent). Et comme l’étranger sera en situation irrégulière, le MFA ne peut plus lui délivrer de visa, et l’étranger devra dégager vite fait. C’est arrivé deux fois d’affilée à un photographe français, qui soupçonne une volonté délibérée des autorités de le mettre en situation irrégulière pour lui faire savoir qu’il n’était pas le bienvenu. Car tout le monde sait que photographe = journaliste = contre le pouvoir en place = de mèche avec l’opposition (même si il n’y en a plus vraiment, sauf en prison) = soutenu par la CIA = révolutionnaire = dangereux = à virer le plus vite possible.

Et même quand la personne n’est pas photographe et souhaite juste aller passer un week-end à Khorog, dans les montagnes grandioses et inhospitalières des Pamir, le MFA trouve le moyen de mettre le bâton dans les roues. Pourquoi les Affaires Etrangères s’occuperaient de quelque chose qui concerne l’intérieur du pays ? Et bien tout simplement parce que Khorog est à la frontière avec l’Afghanistan et que la frontière avec l’Afghanistan est très sensible pour le gouvernement qui a décidé que tous les étrangers qui voulaient se rendre à moins de 25 km de ladite frontière, devaient avoir un permis spécial. Même ceux qui veulent se rendre à Murghab (qui n’est pas du tout à la frontière) doivent avoir un permis spécial GBAO (nom de la région des Pamir, autonome). Et c’est le MFA qui délivre ce permis, pour une durée limitée. Et rien ne leur fait plus plaisir que de délivrer finalement le précieux sésame deux jours après la date demandée. Faut dire que le processus de vérification est extrêmement long et fastidieux. Chaque ministère concerné vérifie que la personne qui fait la demande ne figure sur aucun fichier sensible des différents ministères. Donc la demande va d’abord au MFA qui regarde dans ses listes, puis quand c’est Ok, met un tampon et l’envoie au Ministère de l’Intérieur, qui fait pareil et qui l’envoie au Ministère de la Sécurité, qui fait pareil et qui l’envoie au Ministère de l’Agriculture (quoi ? on sait jamais !!), etc. Sauf que, et c’est là l’aspect fastidieux du travail, rien de tout ça n’est informatisé. Donc toutes les vérifications se font à la main à partir de listes papier. Les dossiers sont transmis par courrier (pas d’e-mail !) et donc mettent du temps à se déplacer d’un ministère à un autre…

  • Les moyens de pression

Les autorités aiment bien jouir de leur petit pouvoir sur le citoyen lambda, voire même sur les gouvernements étrangers, dont la France. Exemple pris au hasard. Le 14 juillet approchant, l’ambassade de France se demande où organiser les festivités. Pourquoi pas dans un café appelé « La Grande Dame », prisé des expatriés ? Sauf que voila, les relations entre l’ambassade et les autorités locales se tendent, et ces dernières décident de faire des travaux dans la rue où se trouve le fameux café. Mais quand on parle de travaux, ce sont de vrais travaux : la route est détruite dans son ensemble, les trottoirs avec, sur une bonne longueur de route. La rue est bien sur barrée aux abords du café et la situation traîne dans le temps. Finalement, l’ambassade devra renoncer à faire son 14 juillet à la Grande Dame et devra se rabattre ailleurs.

Mais les ennuis de la Grande Dame ne sont pas finis pour autant. Au milieu de l’été, les autorités locales découvrent qu’une partie du bâtiment (notamment une terrasse) a été construite sans permis de construire valable et exigent la destruction de l’ouvrage illégal. Le tout se fera au bulldozer de manière pas très douce.

Une histoire de ce type court également à propos de l’ambassade britannique. Les autorités prétendent que le mur de ladite ambassade est trop avancé par rapport au trottoir. Ils exigent que le mur soit détruit et reconstruit selon les normes. Sauf qu’il ne s’agit pas de n’importe quel mur : c’est un mur anti-bombes en matériaux super résistants répondant à tout un tas d’objectifs de sécurité. J’ai entendu cette histoire plusieurs fois, mais je ne sais pas s’il ne s’agit que d’une rumeur ou si c’est vraiment fondé.

2- La police

  • Les véhicules

Première chose à savoir : tout ce qui n’a pas de plaques rouges est susceptible d’être arrêté pour n’importe quelle raison (sisi, même les plaques jaunes, qui ne sont pas aussi intouchables que les rouges). Souvent il devra (ou sera fortement incité à) payer une « amende » sous des prétextes parfois très très très tirés par les cheveux. Ça peut être une voiture trop sale, ça peut être un grillage de feu, ça peut être un prétendu refus de s’arrêter lorsque ledit policier a agité son bâton rouge (pourquoi se serait-on arrêté 20 mètres plus loin alors ?), un défaut de papier, ou n’importe quelle raison inventée.

Quand on est étranger et qu’on se fait contrôler, il vaut mieux oublier qu’on parle un traître mot de russe. Ne pas chercher à faire des efforts pour communiquer ou pour aligner trois mots cohérents pour que ça forme un début de phrase. Sortez votre plus bel anglais, français (évitez l’allemand, il se peut que notre ami policier connaisse quelques rudiment dans cette langue) et répétez « je ne comprends pas » aussi longtemps qu’il le faut pour que le policier vous laisse partir et se mette à la recherche d’une proie plus lucrative.

  • Les personnes

Pour les personnes, les policiers contrôlent principalement les hommes, et surtout les étrangers. Parce qu’on a toujours plus de chance de trouver un quelconque défaut d’enregistrement, de visa ou autre sur un passeport étranger que sur une carte d’identité locale. Pourquoi plus les hommes que les femmes ? Là, j’en sais rien. Peut-être une manifestation de la galanterie tadjike qui est très présente il est vrai. Même si, être en compagnie d’un (ou de plusieurs) hommes est suffisant pour qu’une dievoushka (= une jeune fille, mais c’est valable pour une catégorie non négligeable de la population) se fasse contrôler aussi. C’est ce qui m’est arrivé au mois de novembre, même si je ne saurais dire si c’était la présence de deux garçons à mes côtés, l’heure tardive (genre 23h) ou l’état d’ébriété probable d’un des policiers qui s’acharnait à tout contrôler de mon passeport. Il a cherché la moindre faille sur mon passeport. Comme mon visa était en règle et que j’avais ma registration, il a examiné longuement ma photo pour voir si elle était toujours ressemblante. Comme tout était en règle, il a finit par laisser tomber, mais ce n’est pas toujours aussi facile.  

Autre type de contrôle, le contrôle d’identité chez soi. C’est très simple : 2 policiers frappent gentiment à votre porte, vous demandent vos papiers, notent où vous travaillez, combien de personnes vivent dans l’appartement, etc., et puis repartent. Sauf que ces policiers ne parlent pas anglais, et se pointent rarement aux heures « ouvrables ». La toute première fois, ce fut un matin de semaine normale, vers 8h du matin. Ça allait, ma voisine est sortie pour traduire ce qu’ils voulaient et ça s’est arrêté là. La deuxième fois, c’était également en semaine (un mercredi), sauf que cette fois il était 6h du matin et je dormais à poings fermés. Je leur ai ouvert en chemise de nuit, et après avoir contrôlé mes papiers, m’ont bien recommandé de ne jamais ouvrir aux inconnus. Qu’à cela ne tienne, la troisième fois, c’était au mois de novembre et il était 18h45, il faisait noir depuis longtemps et ma cage d’escalier n’était bien évidemment pas du tout éclairée. Appliquant les conseils des derniers policiers en date, j’ai fait la morte. Sauf que ça n’a pas plu aux deux énergumènes qui ont fait le siège de mon appartement pendant un quart d’heure, jusqu’à ce que je leur ouvre (j’avais entre temps appelé un français au cas ou, car ils me faisaient peur ces deux zigotos). Interrogatoire plus long cette fois : ils ont demandé le nom et le numéro de téléphone de mon propriétaire, ainsi que d’autres détails. Bizarrement, eux ne m’ont pas recommandé de ne pas ouvrir aux inconnus…

 

Enfin, comme pour les véhicules, quand on se fait contrôler, oublier toute notion de russe. Et être patient. Parfois, les policiers sont « honnêtes ». Ils contrôlent le passeport, et voyant qu’il n’y a rien à redire, demandent carrément si la personne contrôlée (souvent un étranger) ne voudrait pas lui donner 10 somoni (parce que c’est son anniversaire, parce qu’il se marie la semaine prochaine, parce que son salaire est trop maigre, parce que c’est la fête nationale demain et qu’il aimerait bien aller boire une bière ou une vodka, etc.). C’est arrivé à Jonas la semaine avant qu’il parte. Il est resté un peu plus de 3 mois à Dushanbe, et il ne s’était jamais fait contrôler (quelle chance !) jusqu’à ce fameux jour où, en l’espace de 12h, il s’est fait contrôler 3 fois en 3 endroits différents de la ville…

 

  • Les autres fonctions

Parmi les autres fonctions du policier de base, on trouve, en vrac : l’interpellation des dievoushka (pas de manière systématique comme les gardes du palais présidentiel par exemple), la régulation du trafic (parfois à bon escient, parfois non), et le blocage de la route. Le blocage de la route peut se produire n’importe quand sans aucun préavis. C’est pourquoi il est important d’avoir un policier posté tous les 30 mètres pour que la communication (à coup de sifflet) se fasse à peu près comme il faut sur toute la Rudaki, sur le mode du téléphone arabe. Pourquoi bloquer la rue ? Parce que, de temps à autres, le président, les enfants du président, le maire de Dushanbe ou d’autres très très hautes huiles gouvernementales, peuvent avoir envie de sortir du palais présidentiel pour se rendre quelque part. Par sécurité, les voitures transportant ces éminents personnages (escortées de 3 ou 4 autres voitures aux vitres fumées en général) doivent rouler à fond sans s’arrêter, donc sans respecter feux, stops, priorités. C’est pourquoi parfois on entend des sifflets partout et tout véhicule (bus, trams, voitures) sur la Rudaki devra s’immobiliser immédiatement le temps que le convoi passe.

Publicité
Publicité
7 mai 2007

Guides de survie : Les transports

Le Tadjikistan est un petit pays (143 000 km², soit un poil plus grand que la Grèce ou la Corée du Nord) recouvert à 93% de montagnes (et pas des minuscules… le plus grand pic culmine à plus de 7000 m.). Pourtant, ce n’est pas un pays dont on peut faire le tour en 4 ou 5 jours. Non, il vous faudra des semaines, voire des mois si vous n’êtes pas bien équipés, si vous êtes particulièrement malchanceux, ou même si vous décidez de le visiter en hiver. La nature des routes et des transports y est pour quelque chose. Je vous propose donc un petit topo, loin d’être exhaustif, sur les principaux modes de transports et les types de routes que vous serez amenés à rencontrer lorsque, après avoir lu ce documents et les autres, vous n’aurez plus qu’une envie : partir à la découverte du Tadjikistan.

Le document se décompose comme suit :

  1. L'état des routes
  2. Les avions
  3. Les trains
  4. Les bus/trams
  5. Les marshrutka (ou mini-bus)
  6. Les taxis
  7. Les voitures
  8. Les piétons
  1. L'état des routes

  • La Rudaki

Le premier mot à connaître quand on arrive à Dushanbe, c’est « Rudaki ». Rudaki, c’est le nom de la grande rue de Dushanbe, la seule et l’unique. C’est une très longue avenue, très large (deux fois deux voies + une voie réservée aux bus et trams de chaque côté), dotée d’immenses trottoirs (l’équivalent d’une route à double sens normale à Belin-Béliet), qui va toujours tout droit. Bref, ce sont les Champs-Élysées du coin. C’est le long de cette avenue qu’on trouvera la plus grande concentration de policiers du Tadjikistan, le palais présidentiel, la statue Somoni (un grand monument doré), l’Opéra-ballet, les répétitions des divers défilés militaires, plein de taxis, son appartement, des restaurants, etc. L’avantage de la Rudaki, c’est que tout le monde sait où c’est. L’inconvénient, c’est que du coup, quand on te dit « c’est facile, c’est sur la Rudaki », ça ne t’avance pas beaucoup. Alors il faut toujours préciser la Rudaki vers où (vers Rohat, après le palais présidentiel, vers l’Opéra, vers l’Agriculture Institute, près de Somoni ou de Lenin Park, etc…) si vous voulez avoir une chance d’arriver à bon port. La Rudaki, donc, est une artère vitale de la ville. Mais elle est bien plus que ça. Après avoir vécu 6 mois dans un appartement donnant sur cette fameuse Rudaki, je me suis rendue compte qu’elle était le symbole même de Dushanbe, la vitrine du pays entier. C’est en effet la route que prend le président Rakhmonov (réélu pour 7 ans en novembre 2006) pour se rendre de son palais présidentiel à l’une de ses nombreuses datchas, à l’aéroport ou, dans le futur, à son nouveau palais présidentiel en construction un peu derrière le parc Lénine. C’est la route que verront tous les visiteurs prestigieux tels que les présidents iraniens et afghans, mais aussi Poutine ou d’autres lorsqu’ils se rendront de l’aéroport au palais présidentiel ou à l’une des nombreuses datchas de Rakhmonov. Il est donc normal que cette route soit la plus belle, neuve et moderne possible, car c’est peut-être la seule chose que toutes ces éminentes personnalités verront du pays.  

Alors on bichonne notre Rudaki. Alors que c’était déjà, et de loin, la plus belle route de toute la ville, les autorités ont décidé de la re-goudronner entièrement au cours du mois de juillet (tout ça parce que messieurs Ahmadinedjad et Karzai venaient nous faire une petite visite pour discuter de comment développer les liens entre les pays aux langues persanes). Mais ce n’était pas encore suffisant. Il fallait aussi refaire les bas-côtés de la Rudaki. Les petits murets de pierre n’étaient pas assez beaux : mettons du marbre, ça fait plus classe. Et puis tant qu’à avoir une belle route, autant la mettre en valeur avec une débauche d’éclairage public coloré. Et vas-y que je te mets des sapins de noëls lumineux aux lampadaires, des drapeaux tadjiks luminescents et plein de banderoles types fêtes de nouvel an chez nous. Sauf qu’ici c’est toute l’année.

Cette petite débauche de couleurs ne serait pas si grave en soi si toutes les autres routes de la ville (je ne parle même pas du pays) étaient à peu près au même niveau. Or, ce n’est pas le cas. Et surtout, le Tadjikistan ne correspond pas tout à fait aux critères de richesses des pétromonarchies qui ne savent plus quoi faire de leurs dollars. Oui, c’est sur, il y a les revenus issus du transit de drogue depuis l’Afghanistan, mais de toute évidence, ils ne sont pas réinvestis dans l’entretien des infrastructures du pays.

  • Les autres routes de la capitale

Vous l’aurez compris : aucune autre rue/route/avenue de Dushanbe ne peut rivaliser avec la Rudaki. Mais ça ne veut pas forcément dire qu’elles doivent être obligatoirement pourries. Et bien, si. Dans le centre de la ville et un peu autour, les routes restent de type soviétique : très larges et très droites. Sauf qu’on dirait qu’il n’y a eu aucun investissement dans l’infrastructure publique depuis l’implosion de l’URSS (et ça ne fait que 15 ans… imaginez dans 15 autres années !). Du coup, nos larges et droites avenues sont truffées d’ornières, de nids de poules, de crevasses par endroit, de bosses, bref de tout ce qu’il est possible d’imaginer pour transformer un banal trajet en voiture en rallye de 4x4.

Au vu du trafic peu important dans la majeure partie de la ville, on peut se poser la question de l’utilité de routes de telles dimensions (peut-être que si leurs routes étaient moins larges, ils seraient plus incités à les entretenir régulièrement ?). Mon expérience, très limitée en la matière puisque j’ai plus souvent marché que pris la voiture m’a appris deux choses :

- Ce genre de route est très utile par temps très humide (cf. guide sur l’eau, partie 7)

- Bien que ce ne soit écrit nulle part, les voies extérieures servent principalement d’arrêt minute, de bande d’arrêt d’urgence, de trottoir, de zone de déchargement, voire même de parking. Vouloir y circuler à tout prix est tout bonnement suicidaire/meurtrier.

Dès que l’on s’éloigne un peu plus, ou que l’on entre dans certains quartiers d’habitations, les dimensions et la qualité des routes/rues chutent rapidement. Dans certains endroits, ce n’est même plus une bande d’asphalte avec quelques ornières, c’est un chemin de terre/caillasse parsemée de quelques vieux restes de bitume. Exemple type : l’ancien Bactria. Situé assez centralement, mais pourtant on n’avait l’impression de s’enfoncer dans un coupe gorge mal éclairé, et il n’y avait que les petits panneaux « Bactria » disséminés ça et là pour nous confirmer que nous étions bien dans la direction du centre culturel en grande partie français.

 

  • A l'extérieur de Dushanbe

En dehors de Dushanbe, c’est simple, il n’existe qu’une seule belle route : celle qui mène à Kuliab. Pourquoi juste celle-là ? Tout simplement parce que ce cher président est originaire de Kuliab (ou de Dangara, qui est une ville juste à côté). Aussi, c’est une ville située dans le sud du pays, donc dans un endroit sans trop de montagnes (et ça facilite la construction de belles routes). En l’occurrence, une belle route signifie qu’on peut rouler aux alentours de 80 km/h sans risquer l’hernie discale, ce qui n’est évidemment pas le cas pour les autres routes tadjikes.

En dehors de la route de Kuliab, les autres routes peuvent prendre diverses formes notamment des routes goudronnées en pointillés. C'est-à-dire que tous les 200 mètres de bitume il y a 200 mètres sans bitume. Je ne sais pas du tout si c’est fait exprès pour économiser le bitume qu’on ne verse sans compter que sur la Rudaki, ou si c’est un dispositif anti-endormissement particulièrement original. En même temps, quand on voit la largeur des routes de montagnes, les grands précipices qu’il y a un peu partout, l’absence de barrière de sécurité et le niveau de conduite des tadjiks, je ne pense pas que quiconque ait envie de s’endormir en route.

Les autres formes de routes sont : les routes à demi éboulées, les routes coupées par des ruisseaux/torrents (selon la saison), les routes fermées pendant toute la saison froide en raison de la neige et du passage des cols jugé trop dangereux. Pour faire simple, renoncez à rallier Murghab ( 3600 m. d'altitude je crois) en hiver, c’est quasi impossible, sauf à dos de yack. Pareil, jusqu’à l’hiver prochain (et encore c’est pas sur), la route menant de Dushanbe à Khujand (la 2e plus grande ville du pays, située tout au nord, dans la pointe biscornue du Tadj) était fermée environ 6 mois sur 12 en raison des conditions climatiques qui rendaient les passage des cols trop périlleux. A partir de l’hiver prochain (normalement), on devrait pouvoir rallier Khujand même en hiver, et cela sans passer par l’Ouzbékistan, tout simplement parce qu’un tunnel a été percé dans la montagne. Pourquoi « normalement » ? Parce que ce tunnel n’est pas encore mis en circulation en raison des infiltrations d’eau qui ont tendance à inonder le fameux tunnel en été. Reste plus qu’à trouver comment résoudre ce problème et on pourra bientôt se rendre à Khujand sans faire des cauchemars pendant les 3 semaines suivantes.

Enfin, dernière chose à noter sur les routes au Tadjikistan. En été et au début de l’automne, les routes servent de lavoir géant pour les grands tapis. Notamment sur la portion de route qui va de Dushanbe à Kuliab, toute bitumée et à peu près lisse, on voit nombre de femmes en train de laver leurs tapis sur la route. Comme nous ne sommes plus à Dushanbe, les routes ont retrouvé une largeur normale, du coup quand une femme décide de laver son ou ses tapis, elle occupe allègrement tout un côté de la route. Elle étend son tapis bien comme il faut et reste à quatre pattes dessus aussi longtemps que nécessaire pour le brosser comme il se doit. Bien sur, ces femmes ne sont pas tout à fait inconscientes, elles ne mettent pas leur tapis sur la route à la sortie d’un virage, mais sur les grandes lignes droites, afin que les voitures les voient de loin. N’empêche, que faire si le chauffeur a un instant de distraction et roule un peu trop vite ? Il n’y a pas de statistiques sur le sujet, mais je serais curieuse de savoir combien de femmes se sont ainsi faites écraser...

2. Les avions

 

  • Les Tupolev

NB : Le descriptif qui suit est directement inspiré de mon unique expérience dans un Tupolev, je ne prétends donc pas détenir l’unique vérité en la matière. Que les adorateurs de Tupolev ne me brûlent pas en place publique pour ce que je vais écrire.

Comparé aux autres avions (genre les petits avec des hélices), le Tupolev nous semble plus rassurant, plus sûr, plus confortable, plus moderne, plus « européen ». A première vue seulement. En effet, si le Tupolev semble un peu rouillé de l’extérieur, il n’en conserve pas moins une fière allure qui sera aussitôt démentie quand vous aurez mis les pieds à l’intérieur.

Les sièges ont une sorte d’odeur de vieux/poussière/transpiration… bref, rien qui donne envie d’y passer plus de temps que nécessaire. Ils sont par contre dernier cri : ultra modulables. Le dossier se rabat complètement (du coup si par mégarde vous vous appuyez sur le dossier du passager situé devant vous, il y’a de forte chance de l’assommer à moitié ou au moins de lui couper la respiration), le siège a tendance à remonter (un peu comme au cinéma), et le tout n’est pas forcément impeccablement fixé au sol.

D’ailleurs, parlons du sol : c’est du matériel soviétique, et ça se voit : aucun confort. Même pas de moquette. La compagnie aérienne a quand même, dans un souci de confort des passagers, rajouté des sortes de vieux tapis élimés au sol, mais qui sont simplement posé, donc qui ont tendance a glisser un peu tout le temps. Non seulement ça fait des plis disgracieux un peu partout, mais après 2h30 de vol, on a une sorte de boule inconfortable sous les semelles. Sans compter que c’est dangereux quand le bout de tapis glisse sous le pied au moment où on se lève.

Et pour terminer, au cas ou on aurait encore eu un doute sur l’anti-américanisme avéré de ces appareils, l’espace est configuré de façon à exclure automatiquement tout passager américain. L’espace entre chaque rangée de siège est calculée au minimum. Même moi, qui ne suis pourtant pas bien grande et pas bien grosse (sisi, je maintiens !), j’ai les genoux qui cognent douloureusement sur le siège de devant et je dois les mettre un peu de biais pour être un petit peu plus à l’aise. Pareil, quand il faut baisser la tablette (parce qu’on nous nourrit quand même), il y’a trois cas possibles :
    -
le type anorexique/très mince (pas mon cas…) : ça passe sans problème, la tablette s’arrête à la distance idéale pour manger sans rien renverser sur ses genoux.
   -
le type normal : il faut rentrer un peu le ventre, et surtout se tenir bien droit, si on veut pouvoir déplier la tablette jusqu’au bout.
    -
le type un peu bedonnant : là, y’a pas le choix, il va falloir poser la tablette sur le ventre et espérer que le tout reste en position horizontale plus ou moins stable.

A part ça, l’appareil est plutôt bruyant, il fait notamment un drôle de bruit au décollage (genre bruit très aigu d’un moteur qui s’emballe ou qui souffre…) et c’est là que je comprends le traumatisme ressenti par tout passager européen qui prend pour la première fois l’avion pour Dushanbe à bord d’un Tupolev de la Tajikistan Airlines et qui se dit que l’appareil est à l’image de ce qu’il va vivre pendant plusieurs mois…

A rajouter les expériences relatées par Raffa : le toit du Tupolev qui se décroche à moitié lors d’un passage de turbulences, et un réacteur à problème.

  • Les autres

Il y’a les appareils qui vont à Khorog et qui sont plus petits que les Tupolev : ce sont des Antonov ou des Yak. Leur particularité (outre leurs hélices qui font très « retour dans le temps ») : ils ne partent que lorsque la météo le permet (c’est-à-dire très souvent en été, beaucoup moins souvent à partir d’octobre) car la navigation se fait à vue, et aussi lorsque l’avion est suffisamment rempli. Autant dire qu’il vaut mieux ne pas prévoir de date fixe pour votre départ. Ceux qui ont fait le « grand voyage » sont unanimes : il vaut mieux avoir un siège près de la fenêtre (pour la vue, magnifique), faire confiance au pilote et avoir des boules quies (parce que ce sont aussi des appareils très bruyants).

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les avions pouvaient fréquemment être en surcharge (c'est-à-dire plus de passagers que de sièges). Il semble que ce ne soit plus trop le cas. Peut-être du à l’unique crash aérien entre Khorog et Dushanbe, officiellement abattu par des afghans, officieusement en surcharge ? Toujours est-il que c’est le moyen le plus « sur » de se rendre à Khorog sans devenir fou. Même si cela ne veut pas dire que c’est de la rigolade. En effet, comme précédemment mentionné, les avions ne volent que lorsque les conditions le permettent. Et il se peut tout à fait que les conditions se dégradent pendant que vous êtes en train de visiter les environs de Khorog. Du coup, les appareils restent cloués au sol autant de temps qu’il le faut, et vous êtes coincés autant de temps qu’il faut pour vous décider à tenter le voyage du retour en taxi/marshrutka. Le pompon est revenu à Nigina et Aziza (de l’OIM), il y a trois ans : elles sont restées coincées à Khorog pendant 3 semaines en raison des mauvaises conditions météo. Plus d’avion, et plus de voitures non plus car l’unique route qui relie Khorog à Dushanbe était coupée.

  • Les compagnies aériennes : la Tajikistan Airlines

Le Tadjikistan, comme tout pays souverain ou presque, possède sa compagnie aérienne nationale : la Tajikistan Airlines, ou la Tragic Air pour les intimes. Quand vous cherchez comment vous rendre dans un pays que vous situez sur une carte depuis 5 minutes seulement (avouez ! Vous non plus vous ne saviez pas où était le Tadjikistan !), la première chose qui vous vient à l’esprit, c’est la compagnie nationale. Enfin, surtout quand vous venez d’aller voir sur le site du Ministère des Affaires étrangères et que la seule alternative indiquée à la rubrique « Aller au Tadjikistan » c’est Aéroflot une compagnie russe qui a de nombreux crash à son actif… Donc vous vous mettez en quête d’un billet d’avion de la Tragic Air.

Soyons réalistes, cette compagnie n’est pas franchement horrible, elle est juste à l’image du pays et de sa malorganisation (c’est pas tout à fait comme la désorganisation). Par exemple, ils sont modernes. Enfin ils essaient. Ils ont un site web avec une version anglaise. Mais le site web n’est remis à jour que tous les 4 ans environs. Entre temps, tout a changé. Et si tout n’a pas encore changé, tout aura changé entre le moment où vous avez envoyé votre e-mail de réservation de billet (vous croyiez que site web = système fonctionnel de réservation en ligne ?? Ce que vous êtes naïfs alors !) et le moment où vous appellerez n’importe quel numéro dans n’importe quel pays pour savoir pourquoi vous n’avez toujours pas reçu d’e-mail de confirmation ou un quelconque signe de vie…

Et quand il y a du changement, ce n’est pas un changement d’heure de départ, ou un changement de prix. C’est un vrai changement : on change le jour du départ (parce qu’il n’y a qu’un vol par semaine depuis l’Europe), on change l’heure bien sur, on change le nombre d’escales, et surtout on ne vous dit rien quand vous parvenez à joindre n’importe quel numéro dans n’importe quel pays. Non, on préfère vous laisser faire un infarctus tranquillement chez vous le matin où vous découvrez l’e-mail qui change tout, intercalé entre une pub pour le crédit en ligne et un rappel qu’il ne vous reste plus que 3 jours pour profiter de cette super offre bidule…

Donc après un coup comme ça, vous remuez ciel et terre pour trouver une nouvelle compagnie aérienne, même Aéroflot avec ses nombreux crash, bref tout pour ne pas y aller avec la Tadjikistan Airlines. Vous finissez par tomber sur la Turkish Airlines qui vous fait une bien meilleure impression et vous oubliez presque la Tadjik Air. Enfin, jusqu’à ce que votre collègue de bureau, le seul autre stagiaire de l’organisation, ne vous raconte comment il a du faire l’aller-retour Norvège-Tadjikistan avec cette fameuse Tadjik Air. Et notamment comment l’avion a décollé avec une heure de retard simplement parce que certaines personnes avaient un billet, mais pas de place. Et comme, bien sur, personne ne s’assoit jamais aux places indiquées sur les billets, ça a pris un temps fou pour remettre tout le monde à la bonne place (sur le modèle : je prends le billet d’un « sans place » je l’amène à sa place, fais lever celui qui y était déjà assis, regarde son billet et l’emmène à sa place, fait lever celui qui y était déjà assis, etc). Sauf qu’à la fin il restait toujours des passagers sans place… qu’on a fini par mettre en business class pour pouvoir enfin décoller. J’avoue que j’ai bien rigolé ce jour-là, 1) parce que ça ne me concernait pas, 2) parce que j’ai toujours conservé une sorte de rancœur à l’égard de la Tajikistan Airlines et que cette histoire confirmait mes a priori sur la compagnie.

Mais, ainsi que je l’ai découvert par la suite à mes dépens, voyager avec la Turkish Airlines n’est pas non plus exempt de surprises. Par exemple, quand à partir du 3 décembre, ils décident de passer à deux vols par semaine depuis Istanbul (tiens ? y’aurait-il de la demande ?) et du coup changent leur vol retour du vendredi matin au jeudi matin. Et bien sur, vous aviez originellement décidé de partir le vendredi 15 décembre…

Moralité : dès que vous voyagez vers le Tadjikistan, depuis le Tadjikistan, par le Tadjikistan, à l’intérieur du Tadjikistan ou à proximité du Tadjikistan, ayez toujours à l’esprit que rien n’est acquis et que tant que l’avion n’a pas décollé vous n’êtes pas sûrs de partir. Toute confirmation par e-mail, par téléphone, tout billet imprimé ou pas, toute information ne garantissent rien.

3- Le train

J’avoue n’avoir jamais testé. Mais il n’y a pas beaucoup de trains (beaucoup, beaucoup trop de montagnes infranchissables au sein du pays), et lorsqu’il y en a (pour aller en Russie par exemple), ils passent par un nombre incalculable de pays (genre plusieurs fois en Ouzbékistan), ce qui occasionne beaucoup d’arrêts, de contrôles, d’extorsion d’argent au passage (tant qu’à faire). 

4- Les bus/trams

Les bus à Dushanbe sont vieux, lents et pleins à craquer quelque soit l’heure (ou presque) de la journée. Ma première expérience dans ces fameux bus remonte au 9 septembre (oui, j’ai mis du temps à me lancer). C’est 40 dirams le trajet, et après, c’est toute une technique pour monter à l’intérieur. Le seul avantage, c’est qu’on a pas besoin de chercher un endroit ou se tenir. Grâce à la concentration humaine, on ne peut pas tomber. Les inconvénients, outre les odeurs et la promiscuité, ce sont les pickpockets. On est tellement serré que c’est vraiment pas difficile de se faire voler. Et d’ailleurs, tout le monde le dit. Dès qu’on prononce le mot « bus », y’a quelqu’un qui dira : « fais attention aux pickpockets ». Alors je fais bien attention à mon sac. Et jusque là on ne m’a encore rien volé.

Sinon, bien que le Tadjikistan soit sujet aux coupures de courant, il y a quand même des trams. Certes, ils n’ont pas la classe du tram bordelais avec son alimentation par le sol, son design soigné et son fonctionnement relativement silencieux. Les trams d’ici ressemblent aux bus, sauf qu’ils ont deux antennes sur la tête. Ce qui, d’ailleurs ne les empêche pas de se doubler mutuellement. Sisi, c’est possible. Ça requiert juste un bon timing, un monsieur qui court vite et bien, et un peu d’adresse. Voici la marche à suivre : tout d’abord, le tram déboîte pour commencer à doubler. Au moment où les tiges du 2e tram menacent d’entrer en contact avec celles du premier, un gars qui court derrière le tram doubleur, tire de toutes ses forces sur des ficelles reliées aux tiges du tram, afin de « déconnecter » ces tiges des fils électriques. Avec l’élan, le tram continue sur sa lancée, et quand il a fini de doubler et qu’il se rabat, le gars qui court toujours derrière le tram relâche les ficelles pour raccorder le tram aux fils électriques. Bon, c’est compliqué à expliquer, mais c’est marrant à voir (surtout les arcs électriques).

Différence majeure entre les bus et les trams : le prix. 30 dirams pour le tram (0,07€) et 40 pour le bus. Pourtant, de manière générale les trams sont légèrement moins pleins que les bus. Je n’ai toujours pas compris pourquoi, puisque les deux moyens de transport sont très lents. Bon, j’ai quand même mis plusieurs mois à comprendre pourquoi il y’avait deux tarifs, et même que c’était lié à la « nature » du transport. J’ai émis tout un tas d’hypothèse pouvant expliquer la différence : j’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un prix spécial dimanche, jusqu’à ce que je prenne un bus le dimanche et que le monsieur me réclame 40 quand même. J’ai ensuite cru qu’il s’agissait d’un prix spécial « avant 9h », mais une âme charitable a fini par m’expliquer la « règle ». Et j’ai d’ailleurs eu l’occasion de constater que les contrôleurs (enfin ceux qui sont chargés de récupérer la monnaie) sont assez souvent honnêtes car ils me rendaient la monnaie même quand j’avais pas encore compris qu’il y avait deux tarifs et que je leur donnais mes 40 dirams et je partais m’installer à l’autre bout du bus parce que je venais d’apercevoir une demi place assise.

5- Les marshrutkas (ou les mini-bus)

Nécessitent une dizaine d’heures d’expérience, rien que pour prononcer leur nom correctement. Sinon, ce sont des mini-bus de 9 à 12 places assises, en théorie. En pratique, entre 15 et 20 personnes peuvent s’y entasser. Ça varie en fonction du gabarit des personnes et du nombre de place assise à l’origine. Les marshrutka sont très rarement en bon état. C’est bien simple, j’en ai pas encore vue une neuve. Elles n’ont pas le droit de circuler sur la Rudaki. Du coup, tout véhicule qui ressemble un tant soit peu à une marshrutka se fera arrêter sur la Rudaki et paiera une amende, même si le véhicule en question ne remplissait pas les fonctions d’une marshrutka mais transportait seulement un groupe de personnes d’un point A à un point B.

Leur avantage, outre leur prix (40 dirams), c’est qu’elles s’arrêtent n’importe où sur un trajet pré-défini. Pas besoin de courir à un arrêt pour monter dedans. Il suffit d’en héler une au passage et, si elle n’est pas tout à fait pleine c'est-à-dire si il n’y a que 15 ou 16 personnes, elle s’arrêtera.

Contrairement aux bus, les marshrutka vont également en dehors de Dushanbe. Ça fait des voyages de groupes pas cher certes, mais pas très confortables non plus. Accessoirement c’est un moyen relativement certain d’avoir des frissons, des bouffées d’angoisse, des montées d’adrénalines et plein d’aventures. Un trajet pour Khorog (550 km), qui se fait en 15h minimum avec une bonne voiture et un chauffeur dopé aux amphétamines, se fera en 18h (le plus rapide) si vous êtes super chanceux, ou en 20, 30 voire 40 heures (il n’y a pas de plafond maximum). Aurélien (acted) a des souvenirs impérissables de ce trajet. Après avoir dû guider la marshrutka en haut d’un col car le chauffeur n’y voyait plus rien en raison du brouillard ambiant (super rassurant pour les passagers à l’intérieur), la marshrutka est tombée plusieurs fois en panne. Réparée à chaque fois avec les moyens du bord (le mode de réparation le plus courant dans ce pays), elle est vaillamment repartie vers Dushanbe mais s’est quand même octroyée un petit moment en « free style » quand, au lieu de prendre le pont qui menait de l’autre côté de la rivière (pas très remplie, fin de l’été oblige), le chauffeur a décidé de prendre un « raccourci » par la rivière, le tout de nuit. On pense que la raison probable pour une telle excentricité était la volonté d’éviter les contrôles de police de l’autre côté du pont. En effet, même si les policiers sont suffisamment chiants pour créer des infraction là ou il n’y en a pas, il se peut aussi fortement que la marshrutka n’ait jamais passé de contrôle technique, soit largement surchargée et que le chauffeur n’ait pas son permis.

6- Les taxis

Pas de problème pour trouver un taxi à Dushanbe, tant que vous êtes sur la Rudaki ou pas loin d’un lieu important comme la gare, les boites de nuit, certains resto « branchés », etc…

Quelques recommandations de base : toujours « choisir » son taxi (et ne pas se laisser choisir par le taxi !), et de préférence éviter les très très vieilles lada qui semblent ne tenir qu’à un boulon. Non seulement c’est moins confortable que les autres taxis, mais surtout le prix de la course sera souvent plus cher, en raison de la consommation d’essence dont vous pouvez sentir les effluves pendant tout votre trajet et qui deviennent fortement incommodantes dès que celui-ci dure plus de 10 minutes...

Bien sur, il faut toujours s’arranger sur le prix de la course avant de monter dans le taxi. Si vous avez une tête d’étrangère, bien sur qu’il augmentera sensiblement le prix. A vous de vous montrer convaincante avec votre vocabulaire très riche en russe (skolka = combien ça coute en version abrégée ; da = oui ; niet = non ; marshrutka = marshrutka (pour pouvoir menacer le taxi de prendre une marshrutka si jamais il baisse pas son prix) ; et les chiffres jusqu’à 5) mais surtout votre langage des signes ultradéveloppé (ou qui ne tardera pas à l’être).

Autre étape très importante : le contrôle de l’état d’ébriété du chauffeur de taxi, surtout tard le soir (notamment pendant la Coupe du Monde quand les derniers matchs commençaient à minuit ici) et tôt le matin. Pour plus de sécurité on procèdera à un contrôle à vue d’œil, de nez et d’oreille. Le contrôle auditif qui consiste à vérifier que ledit chauffeur est capable d’aligner deux phrases cohérentes en russe n’est valable que si vous-mêmes êtes capables de comprendre ce que sont deux phrases cohérentes en russe.

De manière générale, il vaut mieux connaître à l’avance l’endroit où on doit se rendre. En effet, les chauffeurs connaissent rarement le nom des rues (vous aussi, ça tombe bien, sauf que c’est pas votre métier de conduire les gens paumés à un endroit quelconque de la ville) en dehors de la Rudaki. Et quand ils connaissent le nom de certaines rues, vous pouvez être certain(e) qu’il s’agit de l’ancien nom soviétique qui a disparu depuis une bonne dizaine d’année déjà. Non, le mieux à faire quand vous prenez un taxi, c’est de donner des indications générales (dans la limite de vos compétences linguistiques bien sur), et de préférence par rapport à des endroits connus. Par exemple, ne pas demander à aller à Bactria, les taxis ne connaissent pas. Ne pas donner le nom de la rue de Bactria, ils ne la connaissent pas non plus. Dites plutôt « derrière le Zelioni Bazar », et si vous ne savez pas comment on dit « derrière » dites juste « Zelioni Bazar » et essayez de le guider à vue une fois que vous n’êtes pas loin. Si vous ne savez pas non plus où se trouve ce fameux centre Bactria car il vient juste de déménager, laissez tomber le taxi et prévoyez deux heures pour explorer vous-même les environs et (peut-être) tomber par hasard sur l’endroit recherché.

Enfin, dernière chose importante : les taxis n’aiment pas du tout qu’on les paye en pièces de monnaie (même juste une partie de la course). Pourtant les pièces sont en circulation de manière tout à fait normale, et s’ils croient que c’est par plaisir que je leur donne mes pièces difficilement récupérées (cf « au supermarché ») alors que j’en ai besoin pour prendre le bus…

7- Les voitures

Il y a des voitures à Dushanbe, oui. Pas énormément certes, ou alors pas suffisamment par rapport à la capacité d’absorption des routes, en tout cas pas assez pour créer des embouteillages le matin ou le soir. Il y’a deux catégories de véhicules : les gros 4x4 presque toujours blancs, et presque toujours flanqués d’un logo de telle ou telle organisation, et les autres véhicules. Parmi les autres véhicules, il y a le haut de gamme (pas beaucoup, certes) constitué d’Audi ou de Mercedes presque neuves, et il y a les autres presque exclusivement constituées d’antiques lada en plus ou moins bon état. Quand les voitures ne sont pas de marque russe (lada), elles sont la plupart du temps allemandes ou coréennes.

Les voitures à Dushanbe même super vieilles, sont agréables à regarder parce qu’elles sont toujours propres. Même en été quand il y a de la poussière partout, les voitures étincellent. Non, Harry Potter n’a pas élu domicile dans le coin et jeté un sort repousse-poussière à toutes les voitures de la ville. Il s’agit juste d’une règle : les voitures n’ont pas le droit d’être sales à Dushanbe (en dehors, on s’en fout) sinon amende. Et quand on sait le nombre de policiers et leur zèle à arrêter tout véhicule, on préfère nettoyer sa voiture tous les matins. En plus, ça permet de gaspiller encore plus d’eau (une des activités favorites des tadjiks semble-t-il) et ça donne du travail à une armée de gamins qui voit ainsi un moyen de gagner de l’argent plutôt que de perdre son temps à l’école pour finir quand même laveur de voitures plus tard (<- ceci n’est pas mon opinion, juste leur logique).

La seule exception à cette règle de propreté, ce sont ce qu’on appelle les plaques rouges, c'est-à-dire les plaques diplomatiques. Tout véhicule doté de plaques rouges peut faire virtuellement tout ce qu’il veut, il y a très peu de chance qu’un policier ne l’arrête.

Concernant les règles de circulations, il serait erroné de dire qu’il n’y en a pas. Il y en a, sauf que tout le monde ne les connaît pas et pas grand monde les respecte. Déjà, les permis de conduire sont achetés le plus souvent. Ça va plus vite que de prendre des leçons pour, au final, devoir quand même payer un petit quelque chose à l’examinateur le jour de l’examen…

Déjà, le premier impératif de tout conducteur, c’est d’apprendre à slalomer (entre les voitures ou entre les piétons, c’est pareil) et surtout à être réactif. En effet, les voitures de devant ne regardent pas souvent dans leur rétro avant de freiner, ne mettent pas leurs clignotants avant de tourner, et s’arrêtent brusquement sur le bord de la route sans prévenir et sans mettre de clignotants.

Les voitures grillent facilement les feux rouges, mais ce n’est pas systématique. Ils s’arrêtent quand même quand il le faut vraiment, c’est-à-dire quand une voiture arrivant du feu vert klaxone de manière répétée pour prévenir qu’elle ne compte pas s’arrêter. Là, il faut bien que quelqu’un cède.

Enfin, pour doubler, que ce soit par la droite ou par la gauche ne change pas grand-chose : ça dépendra de quel côté il y a plus de place pour passer.

8- Les piétons

Le mode de transport que je connais le mieux pour avoir marché de très très nombreux kilomètres pour me rendre au travail, aux randonnées, au resto, chez les gens, ou tout simplement pour me balader. J’ai testé la marche par tous les temps, de jour comme de nuit, sous la neige ou en plein cagnard.

Règle numéro 1 : avoir confiance. Si vous êtes croyant (en n’importe quel dieu), cela vous aidera. Sinon, n’hésitez pas à vous créer un dieu des routes soviétiques, ou un dieu des piétons de Dushanbe, ça pourrait vous être utile.

Règle numéro 2 : Apprendre à traverser ligne après ligne. Ne pas chercher à se presser et surtout ne pas attendre que toute la route soit suffisamment dégagée pour traverser d’une traite. Vous risqueriez d’y passer la journée et de vous faire écraser quand même par une voiture qui aura fait une embardée pour éviter un autre piéton qui aura décidé de traverser sans attendre, lui (toujours cette aptitude au slalom du conducteur tadjik).

Quand vous êtes au milieu de la route en train d’attendre que la voie suivante se dégage, répétez vous constamment que la voiture qui est actuellement en train de vous foncer dessus vous a vu, et qu’elle vous contournera le moment venu.

Règle numéro 3 : Ne pas chercher les petits bonhommes verts : il y’en a pas, et quand il y’en a, ils ne marchent pas. Quand ils marchent (pour le moment j’en ai vu 3 qui répondaient à ce cas de figure), ils passent au rouge à l’instant où le feu des voitures devient vert. Comme bien sur ils ne clignotent pas avant de passer au rouge, on a l’air bien con au premier tiers de la route quand toutes les voitures redémarrent et vous klaxonnent… Idem, ne sert pas à grand-chose quand vous commencez à traverser, pensant que vous êtes dans votre bon droit puisque votre bonhomme est vert, et qu’une voiture aura décidé de griller le feu rouge et vous klaxonnera pour que vous dégagiez de la route car il ne veut pas (ou ne peut pas) ralentir. Donc, oubliez les bonhommes et continuez selon la bonne vieille méthode du traversage ligne après ligne, quelque soit la couleur des feux.

Règle numéro 4 : Pour les passages piétons, il n’y a pas de règle fixe. Parfois, des voitures arrivant à 80km/h vont ralentir jusqu’à s’arrêter pour vous laisser passer alors que vous restiez prudemment sur le trottoir en attendant le moment propice pour traverser. Parfois ces mêmes voitures ne ralentiront absolument pas et vous aurez bien fait de rester sagement sur le trottoir à attendre le moment propice pour traverser. Lorsqu’il y a, par chance, un policier à proximité d’un passage pour piétons, les probabilités pour que les voitures s’arrêtent et vous laissent passer augmentent, mais pas jusqu’à 100%, donc il vaut toujours mieux rester prudemment sur le trottoir en attendant de pouvoir traverser en toute sécurité.

Règle numéro 5 : apprendre à nager, pour quand il pleut (cf guide sur l’eau).

Règle numéro 6 : Apprendre à y voir la nuit. Oui, les trottoirs sont souvent mal ou pas éclairés (sauf sur la Rudaki, mais il vous arrive parfois d’aller ailleurs que sur la Rudaki) car les autorités n’auront pas jugé nécessaire de mettre quelques lampadaires le long du trottoir. Quand l’éclairage public a été prévu, il n’y a pas forcément d’électricité, donc ça revient au cas numéro 1. Les trottoirs étant tout sauf lisses, il est suicidaire de vouloir se promener la nuit. Quand, malgré tout, vous voulez (ou devez) passer dans une rue sombre la nuit, toujours faire attention aux « caniveaux » (= précipice) mais aussi aux trous divers et variés et aux bouches d’égouts malencontreusement restées ouvertes. En effet, ces bouches sont très profondes et jamais signalées. Quand on fait attention, on voit un cercle sombre devant soi qu’on contourne prudemment. Quand il fait vraiment noir (c’est-à-dire quand il n’y a pas d’électricité par exemple) ou quand on regarde en l’air, on ne voit rien et c’est dangereux (j’ai entendu parler d’un expatrié qui s’est cassé le pied en tombant dans un de ces trucs…).

7 mai 2007

Guides de survie : l'eau

Je vais commencer par vous parler d’un sujet très important : l’eau. Je vous passe le blabla sur l’importance de cette ressource, la pollution qu’elle subit et le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable dans le monde.

Enfin si, j’ai quand même une question existentielle… Quand on dit que tant de milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, c’est selon les standards de qui ?? Non parce que du point de vue de tout occidental moyen, les 6 millions et quelques de Tadjiks n’ont clairement PAS accès a l’eau potable. Mais du point de vue des 6 millions et quelques de Tadjiks, l’eau de leur pays est tout à fait propre à la consommation… Enfin, bref, passons.

Sommaire :

1- L’eau, ou comment emmerder ses voisins qui vous le rendent bien…

2- L’utilisation rationnelle de l’eau au Tadjikistan

3- L’importance des fontaines au Tadjikistan (en tout cas à Dushanbe)

4- Les différentes couleurs d’eau et le manuel d’utilisation au quotidien

5- La coupure d’eau

6- L’art de se doucher au Tadjikistan

7- La pluie, ou comment passer d’un sentiment d’extase à une envie de suicide en 10 minutes

1- L’eau, ou comment emmerder ses voisins qui vous le rendent bien…

Il était une fois un grand pays (enfin, une Union des Républiques Soviétiques Socialistes pour être plus précise) qui rassemblait différents peuples et qui avait la chance d’avoir des hydrocarbures, des ressources en eau, des tas de statues de Lenine, de la vodka, etc., étalées sur son territoire. Tout le monde avait à peu près de tout et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes (bah quoi, après 5 mois passés dans un pays ou la nostalgie de l’URSS reste forte, j’ai fini par adopter la vision locale !). Sauf que, un jour, Shavkat a mangé la pomme que la vilaine Rohila avait cueillie sur l’arbre du capitalisme, et l’URSS s’est écroulée. On avait maintenant plein de peuples, avec plein de pays, des frontières bizarres et vraiment pas cohérentes, des litiges, des guerres civiles, et une distribution des ressources franchement déséquilibrée. Par exemple, prenons les 4 pays que sont le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. L’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont la plupart des ressources en hydrocarbures (devrais-je dire toutes ?). Les deux autres, les deux « petits » possèdent la grande majorité des montagnes inhospitalières, donc la majorité des glaciers, dont la grande majorité des ressources en eau de la région. Bien sur, les relations entre les pays ne sont pas au beau fixe.

Et chaque hiver (voire même en été), c’est la même chose : l’Ouzbékistan coupe le gaz au Tadjikistan, du coup, on se gèle pendant un certain temps. Et pour se venger, le Tadjikistan projette de construire toujours plus de barrages et de centrales hydro-électriques, ce qui ne plaît absolument pas aux Ouzbeks, car qui dit plus grande ponction en amont, dit moins d’irrigation en aval pour les champs de coton. Du coup, recoupure de gaz à la première occasion, plus d’autres mesures de rétorsion telles que la quasi-impossibilité d’obtenir un visa pour les tadjiks et, quand ça ne va vraiment plus, on ferme les frontières…

 Les relations entre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan sont à peine meilleures. Tous les hivers, l’Ouzbékistan persiste à couper le gaz au Kirghizstan sous prétexte qu’il y a des réparations à faire sur le réseau et qu’ils font le maximum pour tout réparer le plus vite possible mais qu’ils ne savent pas du tout quand « le plus vite possible » sera. Tous les ans, le Kirghizstan devait donc se geler pendant quelques jours ou quelques semaines jusqu’à ce le gaz soit de retour. Sauf qu’un hiver, le Kirghizstan en a eu marre et a décidé de riposter. Les autorités ont donc ouvert en grand les vannes de leurs barrages pour produire plus d’électricité et pallier ainsi le manque de gaz ouzbek. Sauf que les Ouzbeks n’étaient pas prévenus et que l’excédent d’eau est allé inonder les champs ouzbeks en aval qui n’avaient pas besoin d’arrosage supplémentaire. Bizarrement, le gaz a été rétabli très rapidement…

2- L’utilisation rationnelle de l’eau au Tadjikistan

Devant une telle profusion d’eau, il serait dommage de l’économiser et d’en faire un usage rationnel… Surtout que les 70 ans de domination soviétique et la gratuité (ou quasi-gratuité) de l’eau n’ont pas inculqué aux Tadjiks la valeur de cet or bleu (enfin marron en ce qui nous concerne, mais on va y revenir plus tard…).

Pour commencer, ce qu’il faut savoir, c’est qu’en été (c’est-a-dire de mi-avril à mi-octobre) ici, il est inutile de regarder la météo : il fait un grand et beau ciel bleu (comptez deux ou trois passages nuageux dans l’été, et si c’est vraiment un été super pourri, un orage courant juillet), et les températures varient de 25 degrés la nuit à 45 degrés la journée, dans la capitale (A Kurgan-teppa, plus au sud, c’est plutôt 50 degrés, a Murghab (3600 m. d’altitude si mes souvenirs sont bons) c’est plutôt 20-25 degrés).

Et pourtant, quand on est à Dushanbe, on n’a pas l’impression de se trouver en plein milieu du désert de Gobi, ni à Paris pendant la canicule. Il y’a une profusion d’arbres (pas pour rien qu’on appelait Dushanbe la « ville verte »), de l’ombre partout et même des fleurs. Bien sur, cela est possible seulement grâce à un arrosage consciencieux et régulier. D’ailleurs, ça se voit très vite quand un système d’arrosage est partiellement défectueux… Au milieu d’un morceau de pelouse verdoyante, il y a une sorte de bande jaune/marron craquelée. Ça veut dire que le truc qui arrose automatiquement est bouché/cassé et qu’il serait temps de le réparer/changer.

Lorsque le système d’arrosage automatique fonctionne normalement (au sens tadjik du terme), le plus souvent ce n’est pas un délicat petit jet d’eau qui est projeté dans un cercle de 75 cm de diamètre, c’est une gerbe d’eau verticale (type mini-fontaine) de 50 à 70 cm de haut qui noie rapidement toute végétation potentielle. Bien sur, il ne viendrait à l’idée de personne de couper l’arrosage au bout de quelques heures, une fois que l’eau a cessé de servir à arroser les fleurs et commence à inonder le trottoir dont la largeur est largement équivalente à une route normale chez nous, en tout cas le long de la Rudaki (c’est la loooongue artère principale de la ville, les Сhamps Elysées du coin). Du coup, quand par un joli matin d’été vous sortez de chez vous en sautillant allègrement pour vous rendre à votre bureau/sauna et que vous remarquez que l’eau commence déjà à s’écouler sur le trottoir, vous pouvez être certain qu’en revenant le soir (soit environ 9h plus tard), les jets cracheront toujours autant d’eau et il y aura environ 5 cm d’eau sur toute la largeur du trottoir sur une bonne distance. Le pire c’est que vous n’essaierez même pas de calculer combien de litres d’eau ont été gaspillés ainsi puisque vous serez totalement accaparé(e) par votre question existentielle du moment : « comment vais-je faire pour traverser ce lac (appelons les choses par leur nom) sans inonder mes nu-pieds ? » A ce jour, je n’ai pas trouvé la solution.

Jusque là, il s’agit d’un type d’arrosage quelque peu excessif, soit, mais compréhensible. Là où l’occidental moyen (c’est-à-dire moi) cesse de comprendre c’est quand il croise, à n’importe quel moment de la journée et à des endroits différents, des gens qui arrosent non pas leur jardin ou leurs arbres, mais leur bout de trottoir, le bout de route devant chez eux, voire même les parkings goudronnés situés à proximité de chez eux… Et c’est qu’ils arrosent tout ça très consciencieusement avec leur jet d’eau. Il ne s’agit pas d’un bref arrosage pour rafraîchir le sol ou pour fixer la poussière. Non, ils restent pendant une demi-heure (voire plus) à arroser du béton… 

3- L’importance des fontaines au Tadjikistan (en tout cas a Dushanbe)

J’avais toujours considéré les fontaines comme des éléments décoratifs, inutiles et souvent trop monumentaux. Jusqu'à ce que je vienne à Dushanbe. Ici, j’ai compris la véritable fonction de la fontaine : la fonction micro-climat. Quand il fait déjà au moins 30 degrés, qu’il est 8h du matin, que vous êtes en train de vous liquéfier, qu’il n’y a pas un souffle de vent et que vous vous dites qu’il vous reste encore 25 minutes de marche avant d’arriver au bureau où, avec un peu de (mal)chance il n’y aura pas d’électricité donc pas de clim, il n’y a qu’une seule chose qui peut vous réconforter : les fontaines du palais présidentiel. Je passe sur les détails du palais présidentiel en lui-même (et surtout des gardes qui passent leur journée près de la grille a interpeller toute « dievoushka » qui passe à moins de 20 mètres d’eux), ce qui est important, ce sont les 6 fontaines colossales alignées sur 40-50 mètres et qui transforment une fraction de votre trajet quotidien en paradis terrestre. Pendant les quelques minutes (parce que forcément, dans ces moments-là, on prend bien son temps) où vous longez les fontaines, la température descend subitement de 10 degrés, vous avez presque l’impression d’être au bord de la mer par une journée d’été et si, par chance, vous passez dans un endroit ombragé au moment même où une minuscule petite goutte vient vous tomber sur la nuque, alors vous pouvez vous payer le luxe suprême de frissonner brièvement (mais très brièvement parce que la seconde d’après vous êtes de retour en plein cagnard…).

 L’autre rôle principal des fontaines, c’est de servir de piscine pour enfant. Comme beaucoup d’autres choses, le Tadjikistan moderne (ne riez pas) a conservé les dimensions soviétiques. Il n’existe pas de petites fontaines (ou alors ça s’appelle des arroseurs automatiques, mais ce n’est pas aussi décoratif). Une autre « petite » fontaine sur mon trajet quotidien, est suffisamment grande et profonde pour qu’une vingtaine de gamins de 6-10 ans puissent se baigner et même nager en ayant de l’eau jusqu’au cou, tous ensemble et sans se marcher dessus. Quand on sait qu’il n’y a qu’une seule piscine municipale à Dushanbe, pour environ un million d’habitants, on apprécie d’autant plus les fontaines. Enfin, pour les autres, parce que comme on est une stagiaire européenne (même non payée), on fait partie de la frange de la population suffisamment riche pour se payer un taxi (voire une marshrutka pour les plus radins/aventuriers/masochistes/suicidaires) jusqu’au torrent de montagne le plus proche.

4- Les différentes couleurs d’eau et le manuel d’utilisation au quotidien

Première chose : oubliez que dans le subconscient de votre vie antérieure, l’eau était associée à la couleur bleue. Après quelques mois au Tadjikistan, vous avez des sueurs froides dès que quelqu’un prononce le mot « eau » et vous voyez surtout une sorte de torrent de boue potentiellement habité par de petites créatures invertébrées…

Si vous faites partie des privilégiés, vous habiterez dans un quartier idéalement placé sur ce qu’on appelle « la ligne du président ». Ça veut dire que l’eau que vous aurez au robinet a toutes les chances de ressembler à peu près à ce que vous connaissiez dans votre douce France. Je dis « a toutes les chances » car

1- je n’ai pas personnellement la chance d’être sur la « ligne du président »

2- au vu de mon expérience de ces 6 derniers mois, je doute que même le président du Tadjikistan puisse avoir une eau qui se rapproche un tant soit peu de ce qu’on a en France (ou alors, tout son système d’eau est alimenté par de l’eau minérale)

Si vous ne faites pas partie des privilégiés, votre eau sera légèrement troublée dans le meilleur des cas, complètement marron (ou café au lait) dans le pire des cas, et entre les deux la plupart du temps (sans mentionner l’horrible odeur d’œuf pourri qui se dégage dès que vous ouvrez votre robinet…). Dans ce cas, il vous faudra adopter quelques réflexes de base pour optimiser vos chances de survie dans cet environnement hostile.

1- Tous les jours, matin et soir, il faudra penser à ouvrir tous les robinets de votre appartement (cuisine, salle de bain et douche) pendant quelques minutes et laisser couler l’eau. Pas pour vous intégrer à la population locale en gaspillant autant d’eau qu’eux. De toute façon c’est pas possible, vous finiriez par avoir des cauchemars horribles dans lesquels votre ancien prof de "politiques de l'environnement" vous poursuivrait avec une tronçonneuse, ou pire, avec un exposé sur Kyoto (mais la c’est une expérience personnelle que chacun pourra accommoder à ses propres traumatismes). Tout simplement pour que l’eau ne stagne pas trop longtemps dans les canalisations et que tout ce qui rend votre eau aussi peu ragoûtante ne se dépose dans lesdites canalisations et ne finisse par les boucher totalement (parce que s’il y’a bien quelque chose de pire que de l’eau marronnasse qui pue l’œuf pourri, c’est la coupure d’eau).

2- A chaque fois qu’on ouvre un robinet, que ce soit chez soi, au travail, au restaurant, chez des amis, il faudra penser à s’écarter soigneusement d’abord, en se mettant de profil par exemple afin de ne pas se prendre de plein fouet la grosse gerbe d’eau (plus ou moins claire, mais on ne va pas y revenir) qui ne manquera pas d’être projetée par ledit robinet sans aucun signe avant coureur. Je ne sais pas pourquoi tous les robinets font ça, mais il faut le savoir et se tenir prêt. Une astuce, tout de même, consiste à ouvrir le robinet très précautionneusement et à attendre quelques secondes, même si l’eau ne coule pas. L’erreur classique consiste en effet à ouvrir encore plus le robinet en se demandant « Mais pourquoi y’a pas d’eau ? » jusqu'à ce qu’un énorme « splatsh » se fasse entendre et que votre beau tee-shirt ne se retrouve constellé de taches suspectes. Malgré l’habitude, il m’arrive encore de me faire avoir comme une débutante, surtout le matin quand je suis un peu à la bourre…

3-  Lorsqu’on veut, malgré l’aspect de l’eau, remplir un récipient d’eau afin de la faire bouillir consciencieusement pendant 10 minutes afin de la rendre potable, il faudra toujours penser à retenir son geste et ne pas mettre le récipient sous le jet d’eau directement. En effet, la « première » eau est souvent très trouble et après quelques secondes, elle s’éclaircit plus ou moins. On pensera bien sur à contrôler que l’eau ne se re-trouble pas pendant que vous remplissez votre casserole. Parfois, quand une sorte de vieille utopie vous reprendra inconsciemment, vous vous apercevrez que ça fait trois fois que vous jetez l’eau de votre casserole car elle ne correspond pas à la notion que vous vous faites d’une eau adaptée à la cuisson du riz. Puis vous vous rappellerez que vous êtes au Tadjikistan, que votre eau est suffisamment claire pour apercevoir le fond de votre casserole (à condition de ne pas trop la remplir quand même !), et que si vous voulez manger avant minuit il faudrait peut-être arrêter de faire des manières et mettre cette fichue casserole à chauffer.

5- La coupure d’eau

Et oui, ça arrive… Et même plus souvent qu’on ne le voudrait, et étrangement, pas à tout le monde (= particulièrement à moi). La première fois, bizarrement, fut la moins traumatisante. Peut-être parce que j’avais été prévenue à l’avance, et parce que je connaissais la date de rétablissement probable de l’eau courante. C’était dans la semaine qui suivi mon arrivée, et les réflexes sont simples : faire autant de réserves d’eau que possible et se préparer psychologiquement.

Les fois suivantes, personne ne m’a prévenu, et donc personne ne pouvait me prévenir de quand l’eau reviendrait. Et c’est ça le plus traumatisant. Quand, toujours pas débarrassé(e) de vos vieux instincts d’européen(ne), vous vous déshabillez allègrement (pour aller à la douche, hein) sans même penser à vérifier qu’il y a bien de l’eau aujourd’hui. Ou quand vous ne faites pas votre vaisselle le soir, parce que vous avez franchement la flemme et que vous la ferez demain… Sauf que le lendemain, quand vous trouvez enfin le courage de vous y mettre, il n’y a plus d’eau. Et là, dans un éclair fugitif vous voyez toutes les conséquences possibles d’une vaisselle sale abandonnée pendant 3 jours alors qu’il fait 26 ou 27 degrés dans la pièce… Vous pourriez certes utiliser l’eau que vous avez toujours en réserve (2 ou 3 bidons de 5 litres), mais un autre éclair fugitif vous traverse l’esprit : « oui mais si j’utilise l’eau pour la vaisselle, je ne pourrai pas utiliser cette eau pour me laver tout à l’heure, demain et après-demain » (dans ces cas-là, on imagine toujours le pire scénario possible, juste au cas où). Donc on ne fait pas sa vaisselle. Et on ne sort pas de chez soi (sauf si on est vraiment obligé) parce que

1- on veut être la quand le miracle se produira (= quand l’eau reviendra) et faire la vaisselle, la lessive, le ménage, une danse de la victoire, une prière au dieu de l’eau courante et des canalisations soviétiques, etc.

2- même si on se lave avec quelques bouteilles d’eau et du savon, on ne se sent pas aussi propre qu’avec une vraie douche (à tort ou à raison, j’en sais rien, mais c’est comme ça), donc on a un peu honte quand même et on fait son asocial(e).

3- on est déprimé(e), on se dit qu’on aurait jamais du venir dans ce pays pourri ou il n’y a même pas de l’eau tous les jours, et on appelle presque sa maman pour se faire plaindre, puis on se rappelle qu’il est 9h du matin à Dushanbe, donc 6h du matin en France, et que maman a beau vous aimer, elle n’appréciera pas de se faire réveiller juste pour entendre combien c’est traumatisant de ne pas avoir d’eau (de toute façon, elle ne peut pas comprendre, elle a de l’eau, elle !)

4- si vous sortez et que vous vous rendez compte que le caniveau en bas de chez vous (caniveau = précipice = au minimum 50 cm de large et 50 cm de profondeur, sans aucune signalisation, aucun muret de sécurité, ni aucun maître nageur à proximité) est plein d’eau, vous pourriez vous sentir suffisamment désespéré pour avoir envie de descendre votre vaisselle sale et la faire dans le caniveau, puisque de toute façon, mis à part les quelques détritus qui flottent dans le caniveau, l’eau semble être la même que celle qui coule habituellement à votre robinet.

Vous l’aurez donc compris, la coupure d’eau, c’est traumatisant. J’ai fini par trouver la technique pour ne pas devenir dingue dans ces moments-là : laisser les robinets ouverts, comme ça on sait dès que l’eau revient et accessoirement on n’expérimente pas l’ascenseur émotionnel toutes les 5 minutes quand on se précipite sur son robinet, plein(e) d’espoir, pour se rendre compte que non, il n’y a toujours pas d’eau.

Et après plusieurs expériences de ce type, on finit par avoir des « bouffées » d’angoisse très régulièrement et on ouvre les robinets un peu n’importe quand, juste pour vérifier qu’il y a de l’eau, et on ne manque plus de s’émerveiller devant l’eau crasseuse qui s’écoule de votre cher robinet.

 Et puis on prend l’habitude de faire sa vaisselle le plus régulièrement possible, toujours au cas ou …

6- L’art de se doucher au Tadjikistan

La douche, je l’ai découvert assez rapidement, est très aléatoire au Tadjikistan. Déjà, la première pensée qui m’a effleuré l’esprit, la toute première fois où j’ai voulu prendre une douche au Tadjikistan, c’est : « Mon dieu (ou « oh putain », mais c’est moins correct à écrire), je ne serai plus jamais propre au cours des 6 prochains mois ». J’avoue que ça m’a un peu déprimée sur le coup, mais il était 6h du matin, je n’avais pas dormi depuis près de 24h et je venais de passer par l’épreuve de l’obtention du visa à l’aéroport… Du coup, c’était peut-être pas le meilleur moment pour essayer la douche…

Enfin, je me suis vite rendu compte que l’être humain était plein de ressources et qu’il valait mieux en avoir pour prendre une douche quasi quotidienne au Tadjikistan. Je ne parle pas de la douche « normale », avec de l’eau chaude, un débit normal, le tout dans l’espace prévu à cet effet (douche ou baignoire). Pour les autres types de douche, jusqu’à présent j’ai testé : 

- La douche froide : normal, sauf qu’on évite de rêvasser pendant 10 minutes parce qu’on est frileux et qu’on aime les douches froides seulement quand on le décide (et ce n’est évidemment pas le cas ce jour-là).

- La douche-filet : parfait pour économiser l’eau que vos voisins s’empressent de déverser sur leurs trottoirs. Techniquement, bien que les robinets d’eau chaude et d’eau froide soient ouverts au maximum, il n’y a qu’un pipi de chat qui sorte du pommeau de douche. Quand le filet obtenu est tiède, la douche est certes fortement rallongée (puisque le temps que le filet d’eau mouille les cheveux, on a le temps de compter le nombre de taches qu’il y’a au plafond) mais ce n’est pas non plus une épreuve terrible. On arrivera simplement au bureau une demi-heure en retard. Par contre, quand il n’y a pas d’eau chaude et que le filet est froid, on trouve que la douche est vraiment très longue et que c’est de la torture que de devoir supporter ce petit filet d’eau froide qui vous coule insidieusement dans le cou et qui ne rince même pas le savon. Alors on abrège comme on peut mais on arrive quand même une demi-heure en retard au bureau.

- La douche à la bouteille : la première forme de douche « alternative » que j’ai connue. Et oui, coupure d’eau oblige, il faut trouver un moyen de se doucher autrement. Pour le corps, pas bien compliqué : on fait chauffer un peu de ses réserves d’eau (tant qu’à faire, autant avoir une douche tiède), on s’asperge un peu d’eau, on se savonne, et on se rince tout en faisant bien attention de ne pas renverser toute l’eau d’un coup et en réfléchissant à la meilleure trajectoire possible pour que l’eau rince un maximum de surface avant d’atterrir aux pieds. Pour les cheveux, c’est un peu plus compliqué (enfin, pour les filles). Comme nos réserves d’eau ne sont pas non plus immenses, on va faire dans l’économie. Tout d’abord, remplir une casserole (la plus grande de préférence) d’eau et plonger la tête dedans. Bien mouiller les cheveux. Puis sortir la tête de la casserole et shampouiner (ça s’écrit vraiment comme ça ?) comme d’habitude. Puis, replonger vite fait la tête dans la casserole pour enlever le plus gros de la mousse, et enfin terminer en vidant doucement une bouteille d’eau sur vos cheveux pour éliminer le reste du shampoing.

- La douche a la bouteille, mais froide : comme précédemment, mais cette fois je n’avais pas non plus de plaque électrique pour chauffer l’eau, donc l’eau était froide. La technique est la même, sauf peut-être qu’on peaufine moins le rinçage des cheveux car on n'est pas non plus masochiste, et puis on maudit deux fois plus le pays, voire la terre entière.

-  La douche au lavabo : sisi, c’est possible. C’est quand il y a de l’eau à votre lavabo, mais pas dans votre douche (pourtant ils sont dans la même pièce, à environ 50 cm l’un de l’autre). Alors on transforme sa salle de bain en douche géante. On s’asperge rapidement depuis le lavabo, on se savonne et on se rince comme on peut. Si on est d’humeur joyeuse, on inonde carrément sa salle de bain puisque, de toute façon, c’est le voisin d’en dessous qui risque d’avoir des infiltrations d’eau (aurais-je oublié de préciser que les constructions tadjikes sont… spéciales ?). Sinon, on limite les dégâts au maximum et on se dépêche de sortir se changer les idées.

7- La pluie, ou comment passer d’un sentiment d’extase a une envie de suicide en 10 minutes

Quand vous êtes arrivé(e) dans un pays le 8 juin et que pendant 128 jours vous n’avez vu qu’un grand ciel bleu (allez, 4 jours de temps couvert en tout), des températures supérieures à 25 degrés tous les jours, vous êtes presque heureux de voir l’automne arriver et ses premières pluies. Enfin, le 14 octobre, quand vous voyez les 3 premières gouttes, vous êtes vaguement content car il n’y a même pas assez de gouttes pour mettre en marche les essuie-glace. Par contre, quand le 9 novembre (soit 5 mois après votre arrivée) vous voyez votre première véritable averse, vous êtes en extase (sisi). Vous interrompez même votre travail pour observer la pluie par la fenêtre. Et quand vous sortez de votre travail vers 17h45 pour vous rendre à votre cours de russe, vous êtes encore plus content(e) de sortir votre parapluie et vous vous préparez à entendre les gouttes s’écraser sur ledit parapluie avec la plus grande impatience. Et c’est exactement ce qui se passe… pendant les 2 premières minutes. 2 minutes, c’est le temps qu’il vous a fallu pour atteindre le croisement entre la ruelle miteuse où se trouve votre bureau et la route tout aussi miteuse (mais plus large) qui va vous mener à votre cours de russe. Et c’est le temps qu’il vous a fallu pour commencer à déchanter et à comprendre qu’une belle averse automnale à Dushanbe, c’est complètement différent d’une belle averse automnale à Bordeaux.

Pourquoi ? Et bien, tout simplement parce que, mis à part la Rudaki (mentionnée plus haut), toutes les rues/routes de Dushanbe (ne parlons même pas du reste du pays) sont pourries, quand elles sont goudronnées. Par chance, la rue où je me trouve en ce funeste 9 novembre est goudronnée. Mais elle est pleine d’ornières, n’est pas éclairée (ou très peu) et les trottoirs sont tout sauf lisses : crevasses, bosses (à cause des racines des arbres qui poussent à proximité), parties totalement détruites, etc. Et quand il pleut pendant toute une journée sans s’arrêter alors que le sol est aussi sec qu’un cookie, et bien ça crée des problèmes. Les deux magnifiques précipices qui encadrent la route sont rapidement submergés et la route est aux trois quarts inondée (c’est-à-dire que la à-peu-pres-quatre-voie par temps sec se transforme en une 1 voie et demie par grosse pluie). Et si on ne voit plus la différence entre le caniveau et la route (juste une rivière qui coule), on ne voit plus non plus la différence entre le trottoir (ou vous êtes) et le caniveau. Et comme il fait nuit et que la rue n’est pas éclairée, le parcours du combattant commence. Tout en tenant fermement votre parapluie à la main pour protéger votre brushing des assauts de la pluie… Non je déconne pour le brushing, c’est juste un de ces vieux instincts idiots qui vous poussent à conserver votre tête au sec alors même que vous avez compris au plus profond de vous-même qu’il est rigoureusement impossible d’arriver à destination sans se mouiller, à moins d’apprendre à marcher sur l’eau comme le Jésus que vous vous surprenez à invoquer à ce moment critique de votre vie. Mais, vous êtes un(e) battant(e) et vous n’allez pas vous laisser submerger par les flots sans réagir. Vous avancez, courbé(e) en deux en essayant de discerner les ornières, les flaques, les parties sures et les parties douteuses du trottoir. Vous avancez à moitié à l’aveuglette, en tâtant du bout du pied les endroits qui ne vous inspirent pas confiance, en sautant comme un cabri parfois pour échapper à une mare qui s’est subrepticement formée en travers de votre chemin tout en gardant en tête votre angoisse du moment et la question existentielle qui en découle : vous êtes du mauvais coté de la route, il faudra traverser, tôt ou tard. Et comment traverser une route inondée sans faire le plein à un moment ou à un autre ? Vous avez de la ressource, certes, mais là, tout de suite, vous ne voyez pas du tout comment faire, alors vous continuez du mauvais coté de la route en espérant que la solution se présentera d’elle-même.Un début de solution se présente quand vous croisez un groupe de militaires qui remonte la rue du même coté que vous, mais dans l’autre sens. Vous évaluez très rapidement la situation : une colonne de 4 militaires de large et d’une dizaine de long (donc qui occupe tout le trottoir) tous encapuchonnés dans leurs sortes de ponchos, dégoulinants de pluie et formant une masse compacte s’avance vers vous. Le trottoir est déjà à moitié inondé, et vous n’avez pas envie de savoir à quelle profondeur sous les eaux se trouve la partie sombre et miroitante qui borde chaque coté du trottoir. Le choix est cornélien, mais vous décidez quand même d’affronter les militaires. Vous vous plantez la ou vous êtes et vous bougez plus jusqu'à ce que la colonne soit passée. Et quand il sont finalement passés, vous avez l’impression d’être passé dans les rouleaux de lavage automatique des voitures (non parce que ça reste des militaires, donc ils se sont pas faits prier pour essuyer leur poncho au passage…). Après ça, vous avez les vêtements humides, certes, mais les pieds restent secs, donc vous ne vous sentez toujours pas prêt(e) à tenter la traversée de la route.

Mais finalement, le destin force la chose lorsqu’il vous place sur une sorte de presqu’île : partout ou vous regardez, c’est de l’eau sauf derrière vous, mais vous ne pouvez pas faire marche arrière car vous devez aller à votre p**** de cours et si vous continuez à tergiverser vous allez être sacrement en retard… Alors vous comprenez que vous n’avez plus le choix, vous mettez le pied (celui que vous voulez) dans la mare et vous pouvez alors dire avec certitude qu’il y a bien plus que 10 cm d’eau. Une fois que vous avez fait le plein dans vos chaussures, vous vous sentez totalement décomplexé(e) et partez vaillamment à l’assaut de la route, sans même faire gaffe aux voitures qui continuent de rouler comme des chauffards et vous éclaboussent au passage, mais tout en pensant à tenir fermement votre parapluie au-dessus de votre tête, toujours à cause de cet instinct à la con.

Résultat : En 10 minutes (je sais que ça paraît plus long) vous êtes passés d’un état semi-extatique a des envies de suicide, sans compter que vous arrivez à votre cours dégoulinant(e), vous chopez la crève + une bronchite et vous mettez deux jours à faire sécher vos chaussures, parce que bien sur, au Tadjikistan, le système de chauffage est également défectueux…

8- La neige

Et oui, je vais aussi vous parler de la neige puisque, comme chacun le sait, la neige est constituée d’eau très très froide (si vous ne le saviez pas déjà, vous voila informé). Peu de personnes aiment la neige à Dushanbe. Pourquoi ? Parce que c’est froid, parce que ça mouille mine de rien, et puis parce que ça transforme la si belle Rudaki en gros truc boueux marronnasse et que c’est une insulte à la nation qu’une Rudaki boueuse et sale (cf. les transports). Aussi, quand il neige il fait froid en général, donc les gens augmentent le chauffage (quand ils en ont un) et que ça demande plus d’électricité et que, fatalement, il y aura un moment ou les centrales électriques déclareront forfait (assez rapidement d’ailleurs). Donc, tout un quartier (rarement toute la ville) se retrouve dans le noir et sans chauffage. Pour certains, ça ne fait pas grande différence puisqu’ils n’avaient pas de chauffage à la base. Pour d’autres, ça fait une différence, et c’est pourquoi ils font une tête de trois kilomètres dès les premiers flocons tombés.

Mais moi j’aime la neige et je le revendique. J’ai juste appris à me transformer en bibendum afghan pour aller au travail. Bibendum car je mets trois tonnes d’épaisseurs pour ne pas mourir de froid une fois arrivée au bureau quand je devrais rester assise dans un pièce à environ 10 degrés pendant 8h (ou presque) d’affilée. Afghan car je m’enveloppe la tête et le cou de manière à ce que seuls mes yeux dépassent. Donc mes collègues m’appellent l’afghane (ou la grand-mère, ça dépend des jours). N’empêche que ça permet de passer les quelques heures de travail sans frissonner, sans choper la crève, et sans même rêver au bon feu de cheminée qui vous attendrait si vous étiez chez vous.

La neige à Dushanbe c’est chouette car tout devient blanc et tellement plus beau. Ça donne l’impression d’être dans une de ces boules de verre qu’on secoue pour faire tomber la neige sur un décor féerique. Quand il s’arrête de neiger pour de vrai, les arbres prennent le relais. C’est-à-dire que pendant les deux ou trois jours qui suivent, des petits flocons ou des gros tas de neige tombent régulièrement des arbres. Comme tous les trottoirs ou presque sont bordés d’arbres, on a l’impression qu’il neige toujours et ça fait joli. Bien sur, c’est beaucoup moins joli quand un gros paquet de neige vous tombe dans le cou pile quand vous passez, mais c’est ce qu’on appelle un dommage collatéral.

Par contre, quand il neige, il vous faut deux fois plus de temps pour faire vos déplacements quotidiens. Quand il ne neige pas suffisamment pour couvrir le sol, la situation est la même qu’en cas de pluie, donc il faut faire attention aux flaques. Quand il neige plus fort, il faut ralentir encore plus pour ne pas vous casser le coccyx une dizaine de fois en allant au travail (parce que vous souhaitez marcher jusqu’au bureau, et non pas patiner jusqu’au bureau et que les semelles de vos chaussures méritent amplement le qualificatif d’ultra lisse). Et puis c’est tellement beau que vous ne pouvez vous empêcher de vous arrêter tous les 20 mètres pour admirer les flocons qui tombent, ou prendre en photo un arbre que vous trouvez particulièrement joli (en tout cas, vraiment plus joli que l’arbre que vous avez photographié 20 mètres avant) et comme précédemment souligné, il y a beaucoup, beaucoup d’arbres à Dushanbe, donc beaucoup, beaucoup de tentations. Il faut également être beaucoup plus attentif aux trous qui parsèment la route et qui sont, bien sur, sournoisement dissimulés sous la neige. Et quand le lendemain l’espèce de bouillasse immonde s’est transformée en une espèce de bouillasse immonde verglacée, vous avancez aussi vite que la babouchka que vous conspuez quotidiennement parce qu’elle vous ralentit considérablement et qu’en plus elle prend toute la place.

7 mai 2007

Guides de survie : généralités

Pour ceux qui n’auraient pas eu le courage de lire l’intégralité de mes conneries, je vais résumer les points essentiels de mon séjour au Tadjikistan, afin que ceux qui souhaitent venir faire un tour dans ce petit pays enclavé puissent le faire en toute connaissance de cause. Bien sur, je ne prétends pas détenir la vérité universelle, c’est pourquoi je vous préviens d’entrée. Ces « guides de survie » ne sont que la somme de mes expériences personnelles et ne constituent pas une encyclopédie exhaustive.

 

14 décembre 2006

C'est la fin...

C’est le grand jour, le jour J, le jour de la délivrance, le jour de joie, le jour tout court… Enfin, c’est encore la nuit puisqu’il n’est que 3h30 du matin. J’ai environ une demi-heure pour me préparer et achever de boucler ma (grosse et encombrante) valise. Depuis hier soir j’ai la chance d’avoir de nouveau de la lumière, je suis donc toute joyeuse, quoiqu’un un peu endormie, et je n’hésite pas à faire une prière enflammée au Dieu de la lumière tadjike, au Dieu des fusibles « made in China », au Dieu des moitiés d’immeubles éclairées, au Dieu de la providence, bref, à tous les dieux qui me passent par le neurone (oui, parce qu’à cette heure-ci, c’est service minimum). Je me mets en quête d’un truc à manger, ce qui s’avère difficile puisque je viens justement de me débarrasser de toute forme de nourriture fraiche, périmée, lyophilisée, sèche, emballée, etc. Bref, je n’ai plus rien à manger. Et je n’ai plus rien à boire non plus. Parce que, résignée à mon sort et persuadée que je ne reverrai plus le courant dans mon bel appartement, je me suis également séparée de mes… (très) nombreux sachets de thé. Et l’eau du robinet n’est toujours pas potable (hé ho, c’est pas la cour des miracles ici, déjà l’électricité qui revient à point pour me permettre de prendre une dernière douche chaude, faut pas trop en demander non plus !!). Et je n’ai plus qu’un fond de jus de pomme à boire. Bah, c’est déjà pas mal… Vivement qu’on soit dans l’avion, pour avoir droit à un whis… euh, un jus de tomate…

Petit déjeuner achevé, je me jette sous la douche pour me décrasser, certes, mais surtout pour me réchauffer. Et oui, lumière ne veut pas dire chauffage. La prise murale est toujours fondue, et j’ai vraiment trop peur de provoquer un court-circuit général si je branche mon chauffage dans la prise d’en dessous. C’est pas que je n’aime pas les bougies (c’est top dans des vieux pots de nutella vides, je vous assure !), mais j’aime pas prendre des douches dans le noir, et il me reste quelques affaires à compresser dans ma valise, et un dernier tour d’appartement pour voir si je n’ai rien oublié (outre la vaisselle sale, des miettes par terre, un parapluie à moitié cassé et une moitié de gateau au frigo). Et le temps passe mine de rien. Il passe tellement vite d’ailleurs que je suis surprise en entendant le téléphone sonner… Oups, le chauffeur est déjà là. Pour le coup, je me dépêche pour de bon, enfile mes quatre épaisseurs de vêtement (tous ceux qui étaient trop volumineux ou trop lourds pour rentrer dans la valise), commence déjà à transpirer et fait soudain une attaque… Les clés !!! Je vais en faire quoi ? Bon, pas le temps de cogiter, il faut que je me descende valise, sac à dos et sac en plastique jusqu’au coffre de la voiture.

L’autre personne dans la voiture est scandinave (d’après son prénom) et accompagne une autre scandinave à l’aéroport. Durant le court trajet j’essaie de ne pas céder à la panique qui m’envahit toujours au moment des départs, et encore plus au moment des départs précipités. J’ai bien mon passeport, mon billet, ma migration card, mon sac à dos, mon précieux journal pas terminé, ma super paire de ciseaux qui date de mon année de 2nde (mais qui coupent toujours, sisi !), la lettre à remettre à Daler, les livres à remettre à Bactria, les CD à remettre à Roshni, et les clés à remettre à Faridun… Pour les affaires à remettre, je compte fortement sur la présence de Florian à l’aéroport, car sinon, je suis dans la m… élasse.

Arrivée à l’aéroport. Beaucoup de monde. Je galère à traîner toutes mes affaires et arrive haletante et pantelante au hall du départ. Petit coup d’œil circulaire, petite décharge d’adrénaline et pouls qui monte à 180 : Florian est nulle part… Oh merde (oui, pour le coup, c’est plus de la mélasse, c’est carrément de la merde !!). Je vais bientôt devoir passer la porte d’enregistrement, ce qui veut dire plus aucun contact avec le monde qui reste à Dushanbe. Ce qui veut dire plus aucune chance de refiler CDs, livres, lettre et clés… Alors, je me tourne vers la dernière personne qui me soit connue dans cet endroit : le scandinave qui accompagnait la scandinave qui elle est déjà partie se faire enregistrer. Je lui explique brièvement la situation, lui demande si ça ne le dérange pas de remettre tout ça à Florian de ma part et, sans attendre de réponse, lui fourre le tout dans les mains et commence à lui donner le numéro de téléphone de l’intéressé. Mon scandinave, tout pris au dépourvu, n’a pas le temps de trouver une excuse foireuse bidon, et n’a plus que le choix de sortir son portable et de me faire épeler consciencieusement le prénom de Florian ainsi que son numéro. Voila, le destin de 3 personnes et d’un centre culturel se trouve entre les mains de ce scandinave dont j’ai oublié le nom (Christian Petersen ? Peter Christiansen ? Ni l’un ni l’autre ?). Je le remercie, lui dit au revoir et m’engouffre par la petite porte, à peine arrêtée par le vigile qui veut contrôler mon billet d’avion.

La salle d’enregistrement est plus que pleine : elle est archi pleine. Je regarde directement dans le coin nord-ouest (enfin, j’en sais trop rien, je ne sais pas où est le nord) où se trouve le petit bureau d’enregistrement. Mon regard se pose sur les trois personnes qui attendent devant, puis sur les deux qui se trouvent derrière eux, ainsi de suite, jusqu’à ce que mes yeux se trouvent à regarder dans le coin sud-est, ou la file, après avoir fait de ravissantes ondulations, se termine enfin. Bon… ben… il ne me reste plus qu’à aller occuper la place numéro 8256, tout là-bas au fond, et à bouquiner le dernier Gala. Sauf que nous sommes à Dushanbe, donc il n’y a pas de Gala (ou alors en russe, mais j’ai même pas envie d’essayer) mais il n’y a pas non plus 8256 passagers… Je me procure une déclaration des douanes. Rien n’est traduit en anglais, donc je comprends pas tout. J’essaie de remplir un peu au pif, et je verrai bien ce que ça donnera. Peut-être que s’ils se concentrent sur ma déclaration des douanes mal remplie, ils ne remarqueront pas les 10 kilos de surpoids de ma valise ?

La file avance lentement… très lentement… trèèèèèès lentement. Il est tôt, et pourtant les nombreux enfants présents (vacances de noël obligent) sont très réveillés et passent le temps en jouant à trap-trap. Sauf que la pièce est quelque peu exigue, et surtout très remplie. Et vas-y que ça enjambe les valises, et vas-y que ça tourne autour des piliers, et vas-y que ça vous court entre les jambes, et vas-y que ça crie, et vas-y que ça pleure, et vas-y que ça s’empale sur vous en vous écrasant les pieds et en se mouchant sur votre pantalon… Bref, c’est long tout ça. Et dans ces cas là, rien ne vaut une petite discussion avec vos voisins de devant, de derrière, voire même de droite (oui, ceux qui sont arrivés après vous, mais qui sont découragés face à la longueur de la file et qui aimeraient bien s’incruster incognito avant vous…). En l’occurrence, je parle à mes voisin de derrière. Un homme et une femme d’affaires, tous les deux résidants (ou travaillant ?) en Belgique mais originaire de quelque part ailleurs. Et surtout, un guide tadjik qui les a accompagné depuis l’hôtel pour prendre en charge toutes les formalités du départ. Et qui est tellement gentil qu’il s’occupe des miennes en passant. Effaré devant ma déclaration des douanes, il entreprend la lourde tache de contredire la moindre de mes réponses (sauf pour mon identité et le numéro de mon passeport, où j’avais quand même eu juste !) tout en murmurant entre ses dents « non, franchement, vous voulez vraiment rester à Dushanbe vous ! ».

Une fois ma déclaration toute gribouillée, nous arrivons à l’endroit où on donne les bagages. Il y a une antique balance (à aiguilles) à côté, et en proie à un doute affreux, je cours me peser… 6 mois sans balance, il y a de quoi rendre folle n’importe quelle fille, non ? Non, en fait, c’était pour peser ma valise… Bien sur, mes nouveaux compagnons sont d’humeur très joueuse et s’amusent à monter à moitié sur la balance pour faire monter l’aiguille dans les 50 kilos… Quand ils finissent par se désintéresser de mon infarctus imminent, je pèse pour de bon ma valise : 21 ou 22 kilos… Ça va, c’est pas aussi terrible que je le pensais. C’est passé à 21,4 à l’aller, ça devrait bien passer au retour non ? Je récupère mon ticket, place 21 A, et mon guide d’une matinée nous quitte. L’avantage d’avoir poireauté pendant plus d’une heure avant l’enregistrement, c’est que du coup j’attends presque pas avant d’embarquer dans l’avion ! Bien sur, je ne suis pas la première. Et tout le monde a mis ses manteaux, sacs et autres semi-remorques dans les compartiments au-dessus des sièges. Donc je n’ai plus la place de rien mettre… Si, juste ma méga tenture. Je cale donc mon sac à dos sous le siège avant, mais comme il est trop grand, il dépasse vers moi. J’ai bien essayé de le pousser en douce plus loin sous le siège du passager situé devant moi, mais un méchant coup de pied arrière m’en a dissuadé… Donc je me retrouve avec deux fois moins de place que les autres personnes pour mettre mes pieds. Et puis j’ai mon manteau de ski (enfin non, le manteau de ski de Mélissa, qui est trop petit d’ailleurs) sur les genoux, ainsi que ma veste en laine, ainsi que mes deux écharpes, ainsi que la couverture que la compagnie aérienne distribue d’office, avec le petit coussin.

J’aurais du être près du hublot, mais les deux passagers assis à côté de moi ont annexé ma place d’office. Tant pis, je n’aurais pas l’occasion de dire au revoir au montagnes tadjikes saupoudrées de neige. D’ailleurs, en parlant de mes voisins. Les 9/10 de l’avion sont remplis d’expatriés (dont un bon quart est français, le reste parlant au moins l’anglais), et moi je me retrouve assise à côté d’un turc, qui ne parle que turc (ou alors qui m’a bien caché ses capacités en anglais) et d’un bulgare qui parle très bien turc et le russe. Je suis donc condamnée à me taire une grande partie du voyage. Le voyage en lui-même se passe plutôt bien. Je suis à l’étroit avec toutes mes épaisseurs et mon sac, et mon voisin turc me saoule en se levant régulièrement pour aller aux toilettes, mais sinon on nous nourrit et abreuve copieusement, j’épluche assidument le magazine de la compagnie aérienne car les seuls journaux proposés à bord étaient en turc uniquement (même pas de russe ! même pas d’anglais !), et je suis contente d’arriver enfin à Istanbul. La première partie de mon voyage est terminée.

Il est à peu près 10h (on a eu une heure de retard au décollage) et ma correspondance est aux alentours de 15h. Je ne me presse pas et laisse allègrement tout le monde passer. Notamment Marielle qui a une correspondance pour Nice dans la foulée. Je récupère sans grande joie ma grosse valise, fais la queue au guichet pour faire tamponner mon passeport, croise une dernière fois les belges, et me mets en quête de la compagnie aérienne qui pourra me délivrer mon billet. En dépit de toutes considérations de sécurité, je laisse ma valise en gardiennage auprès d’un vieil asiatique qui a l’air de s’éterniser sur un banc. Ça fera toujours ça de moins à me trimballer. Je cherche les départs internationaux (j’y suis passée il y a six mois, mais j’ai déjà tout oublié !), finis par prendre un escalator avant de me rendre compte de mon erreur : pour aller plus loin, il faut que je passe toutes mes affaires aux rayons X. C’est pas que ça me dérange, mais il va falloir que je passe l’épreuve une deuxième fois, quand je serai allée récupérer ma valise. Enfin, si elle est toujours là, bien sur. Tant pis, je passe mes affaires aux rayons X et moi-même au détecteur de métaux (comme ça, pas de jaloux !) et avise une longue rangée de petites cabines aux couleurs des différentes compagnies aériennes. Sauf que je ne sais pas quelle est la mienne. C’est un billet imprimé, au fait (non, parce que je ne suis pas bête à ce point quand même) : ça vient du site Marmara, mais il n’y a pas écrit de compagnie dessus. Je finis par me laisser tenter par une petite cabine et présente mon papier imprimé. La jeune fille m’indique la cabine adjacente. Je fais la queue à la deuxième cabine et tends mon papier. La jeune fille m’indique la cabine voisine. Je recommence le même cinéma, sauf que là il n’y a pas de queue à faire. Le jeune homme est juste au téléphone avec deux personnes différentes (un combiné sur une épaule, l’autre dans sa main gauche et tapage à l’ordi avec sa main droite… chapeau !). Il me fait ainsi poireauter une bonne dizaine de minute. Quand il daigne enfin s’intéresser à moi, je lui tends mon papier, sans dire un mot (j’ai tellement l’habitude de ne jamais me faire comprendre que j’ai pris l’habitude de tendre les choses sans parler…). Il tapote deux ou trois trucs sur l’ordinateur, imprime un billet et me dit dans un français parfait : l’enregistrement se fera à partir de 14h45, rangée C. J’en reste bouche bée. Je m’étais vaguement attendue à un speech en turc auquel je n’aurais rien compris, éventuellement un discours en anglais avec accent à couper au couteau, mais en français !!

Armée de mon billet, je redescends à l’étage en dessous par un autre escalator, récupère ma valise auprès du vieil asiatique. Au moins il n’a pas volé ma valise. Trop fatiguée pour chercher s’il n’aurait pas caché de la drogue ou des explosifs entre mon yack en peluche et ma chemise de nuit bourriquet, je remonte illico. Je repasse tout aux rayons X (avec plus de difficultés, notamment pour hisser la valise sur le tapis roulant) et je m’échoue pitoyablement sur un banc à proximité d’un panneau d’information. Je ne suis pas la seule d’ailleurs. Toute une famille semble attendre sur le banc d’à côté, et quelle n’est pas ma surprise de constater qu’ils sont russes (ou qu’ils le parlent en tout cas). A croire que je suis poursuivie par cette langue ! Je me plonge dans la lecture du seul livre que j’ai ramené (et seul que je n’ai pas lu) : un roman policier. Rapidement lassée, je passe aux mots croisés arrachés dans le 20 minutes que ma mère m’a consciencieusement envoyé au cours de ces 6 derniers mois. Sauf que je dois être vraiment très fatiguée. Ou alors tous ces détecteurs de métaux ont fini par me bousiller les neurones. Toujours est-il que je suis incapable de mettre plus de 4 mots dans la grille (quand même, c’est le 20 minute, c’est pas Metro non plus !) et je passe une bonne heure à faire le sudoku « moyen »… Complètement désabusée, je laisse tomber mes mots croisés et entreprend de rêvasser consciencieusement sur la publicité (turque) affichée en face de moi.

Une demi-heure avant le début de l’enregistrement, je me résouds à lever le camp et à abandonner ma moitié de banc à d’autres voyageurs épuisés et en transit. Je me traîne péniblement jusqu’à l’enregistrement où je constate avec horreur que je ne suis pas la seule à avoir voulu prendre un peu d’avance afin d’éviter de poireauter l’après-midi : la file coupe en deux le vaste espace ménagé entre les deux rangées de guichets d’enregistrement. Trop fatiguée pour être malhonnête, je me mets sagement à la toute fin de la file et commence à observer les autres voyageurs de la file, mais aussi les voyageurs qui déambulent et les agents de sécurité. Au bout d’un moment, lassée de mon observation, je me lance dans un petit exercice destiné à achever mes deux derniers neurones : je calcule mentalement le poids de chaque valise autour de moi que j’additionne au poids de son (ou ses) propriétaire, puis je classe le tout par ordre alphabétique en me demandant au bout de combien de sandwichs le bonhomme assis sur le banc à ma droite va finir par avoir la vessie pleine…

J’en étais à la lettre P et au 4e sandwich du bonhomme assis sur le banc à ma droite quand ce fut à mon tour d’enregistrer mes bagages. Encore une fois, personne ne fit mine de s’intéresser à mon léger surpoids (peut-être était-ce du à mon expression hagarde, mon teint rouge brique et suant, et mes cernes aussi profonds que le trou de la sécu ?) de bagages et on me remit ma carte d’embarquement : place 21A. Ils se sont donnés le mot ou j’ai une tête à occuper les places 21A ?? Toujours est-il que je ramasse en soupirant les affaires qui ne partent pas en soute et, armée de mon nouveau (et dernier !!!) sésame, part en quête de la bonne porte d’embarquement sous les yeux du bonhomme assis sur son banc qui mâchonne d’un air absent son 5e sandwich.

Arrivée à ma dernière escale avant la montée dans l’avion, je m’échoue stratégiquement sur un banc afin d’être dans les premières à entrer dans l’avion. Après mon expérience de ce matin, je compte bien caser tous mes bagages sans exception ainsi que mon manteau dans le compartiment prévu (ou pas, c’est pas mon problème) à cet effet. Je vais donc avoir besoin des trois quart dudit compartiment, et il faut pour cela que j’arrive dans les premiers. Au signal, je rassemble vaillamment mes forces et mon courage, hisse mon sac à dos sur les épaules, et pars comme une flèche en direction de l’avion, renversant une hôtesse au passage mais en veillant bien à lui coincer dans le nez la partie détachable de mon ticket d’embarquement (c’est que je ne voudrais pas d’ennuis, voyez-vous). Je n’ai jamais été bonne en athlétisme, mais je suis certaine d’avoir établi le nouveau record du monde du 40 mètres avec bagages, si tant est que ce record existe. Mes efforts sont couronnés de succès puisque je peux non seulement caser toutes mes affaires dans le compartiment, mais aussi occuper la place près du hublot (qui me revenait de droit, certes).

Après ce brusque effort, je tombe dans une léthargie profonde et salue à peine les deux hommes qui s’installent à côté de moi. Lorsque nous décollons enfin, je sors mon roman pas terminé, et commence à lire. J’en ai pour 3h de vol, largement de quoi le finir si personne ne me dérange… Mes compagnons de vol essaient bien d’engager la conversation, mais voyant que je ne réponds que par monosyllabes, ils abandonnent rapidement et se contentent de réflexions régulières sur ma concentration ou les risques thérapeutiques d’une lecture trop longue. Je consens quand même à m’interrompre pour avaler mon 3e jus de pomme de la journée et ingurgiter mes 5 et 6e repas ou snacks de la journée. J’attaque les dernières pages au moment de l’atterrissage, et termine tranquillement ma lecture pendant que tout le monde se bouscule et se piétine pour sortir. Je descends ensuite tranquillement de l’avion après avoir rassemblé mes nombreuses affaires et me dirige d’un pas lent vers les files de contrôle des papiers. Je tends mon passeport au monsieur confortablement installé derrière sa vitre sans lui dire un mot (par fatigue ou par habitude, je ne saurais le dire) et me dirige avec une mauvaise volonté flagrante vers le tapis roulant croulant des bagages fraîchement débarqués.

De nouveau en charge de ma grosse valise verte, je me dirige d’un pas pesant vers la sortie. Rapidement en sueur par l’effort et ressemblant à un mulet engoncé dans une couche impressionnante de vêtements, je débouche sur la salle d’arrivée. Là, derrière le long ruban rouge, se trouve une petite foule compacte qui brandit des panneaux divers et variés, ou simplement un grand sourire nerveux. Je cherche vaguement ma moman, mais je ne la vois pas. Par contre, je remarque assez vite une silhouette solitaire (‘I’m a lonesome cowboyyyyyyyyy !) qui m’est vaguement familière. Didier, lui, est là. Bien à l’heure, et toujours galant, il se charge de mon énorme valise verte. Nous sortons rapidement de l’aéroport, montons dans la vieille Renault datant 1867 mais qui marche toujours, et nous mettons en route pour l’appartement. Submergée par le nombre impressionnant de voitures, de lumières (quoique, ce ne sont pas les mêmes lumières qu’à Dushanbe : exit les drapeaux tadjiks clignotants et les traineaux de père noël…), je mets du temps à me réhabituer aux aspects les plus quotidiens de la vie parisienne : les bouchons. Et bien que je sois crevée, que j’étouffe sous mes épaisseurs et que je trépigne d’impatience de me prosterner devant la première machine à laver qui croisera ma route, je suis obligée d’entrer dans une sorte de léthargie profonde pendant une heure entière, sauf quand Didier me confie qu’il ne sait pas si finalement il aura assez d’essence pour rentrer puisqu’il n’avait pas prévu les bouchons… Petite montée d’adrénaline qui parvient à me maintenir en vie jusqu’à l’arrivée. Dernière épreuve : la montée des quatre étages. Je laisse ma grosse valise à Didier et je monte sac à dos et ma grosse tenture. Enfin, je m’écroule dans le vestibule, pantelante. Me débarrasse de trois kilos de pulls et de chaussures, reprends à peine mon souffle et court dans la cuisine ou je tombe à genoux et en adoration devant la vieille machine à laver antique dont la peinture s’écaille. Je remercie le bon dieu de m’avoir permis de connaître ce moment d’intense bonheur et je tombe raide morte.

Ainsi s’achève ce périple de six mois au Tadjikistan.

13 décembre 2006

Derniers préparatifs et derniers adieux

Seul jour de battement avant mon vol retour. Du coup, j’ai plein de trucs à faire : ma valise, acheter les derniers souvenirs, participer à mon dernier cours de russe ce soir, etc…

Sauf que je suis trop bien, pelotonnée au fond de mon lit avec toutes mes épaisseurs pour quitter la tiédeur de mon lit. Le reste de mon appartement est désormais une zone non hospitalière, la rue n’a jamais été hospitalière températurement* parlant, et même si je peux retourner à l’OIM je n’en ai pas envie car il y fait encore plus froid que chez moi. Je paresse donc plus que d’habitude et, bien sur, je finis par être en retard.

C’est pas grave !! Je fais ma valise un peu en vrac, en faisant rentrer d’abord tout ce auquel je tiens le plus. Pour le reste, ce sera un peu du tirage au sort ou du délit de faciès. Les tee shirts défraîchis et déformés en tremblent déjà.

Puis je me motive suffisamment pour aller acheter mes souvenirs. Je dépense les quelques somonis qui me restent et je ne garde que le strict minimum pour pouvoir payer un taxi au cas où. Je repasse au bureau vite fait pour être sure que Mavsuma se rappelle que je m’envole demain et que ça serait chouette si un chauffeur pouvait me déposer à l’aéroport. Elle m’explique que ce sera un chauffeur d’une autre organisation qui m’emmènera en même temps qu’une autre personne qui va aussi à l’aéroport. Bon, parfait.

J’ai à peine le temps de repasser par chez moi, de vider tout mes placards, et de remplir mon sac à dos de toutes les denrées non périssables avant de repartir. Le jour tombe déjà et il faut que je parcourre les deux kilomètres qui me séparent de mon cours de russe avec sur le dos une sorte de mammouth inconfortable qui me plante régulièrement des coins dans le dos. J’endure stoïquement et franchis avec soulagement la porte de la classe. Je dépose mon mammouth près de ma chaise, l’ouvre pour en sortir une feuille de papier et un stylo bic noir (si avec ça vous n’avez pas suffisamment de détails !!). Le cours se passe normalement et à la fin, j’essaie vainement de rendre à Lilia son magnifique manteau matelassé vert bouteille. Elle insiste pour que je le garde, bien que je lui explique patiemment que j’ai déjà le manteau de ski à moitié fluorescent de Mélissa à me mettre sur le dos demain matin. Tant pis, je cède, je suis en retard pour aller chez Roshni. En chemin je monte un plan machiavélique pour convaincre Roshni qu'elle a absolument besoin d'un manteau matelassé vert bouteille qui a un trou dans la poche droite.

Roshni a eu pitié de mon appartement sombre et froid et m’a invitée à manger mon dernier repas chez elle. Elle a même promis de me cuisiner quelque chose d’indien. Cool. Quand j’arrive, je suis frigorifiée, j’ai mal aux trapèzes mais je suis heureuse. Ça sent bon dans toute la maison, et il fait chaud. Roshni a presque fini de cuisiner. Je lui sors l’intégralité de mon sac en commentant chaque article. Notamment quand il s’agit des herbes de Provence qu’elle ne connaît absolument pas ou de trucs tout écrit en français car envoyés par ma mère. Puis on se met à table au lit. Et oui, c’est encore la pièce où il fait le plus chaud et bien installées sous la couverture, on est encore mieux… On discute longtemps, jusqu’à ce que les adieux s’imposent. En effet, il est tard et je ne suis pas sure que les bus passent encore. Je la remercie infiniment pour son accueil et sa compagnie au cours de mon séjour et lui souhaite bon courage pour passer les fêtes de Noël dans un Dushanbe complètement déserté par les étrangers…

Je me rends à l’arrêt de bus et je poireaute au moins une demi-heure avant de me rendre à l’évidence : il n’y a plus de bus. Je repère donc un taxi qui semble attendre stratégiquement à quelques mètres de moi et l’aborde résolument. Bien sur, il m’annonce un prix deux fois supérieur à la normale et bien sur je négocie sec. Et comme je parle quand même beaucoup mieux le russe qu’à mon arrivée je parviens à obtenir le prix que je veux. J’ai même failli lui arracher une larme en lui racontant qu’il ne me restait plus que ça comme argent et que je rentrais demain chez moi pour toujours…

Agréable surprise en rentrant d’ailleurs : l’électricité est enfin revenue… C’est cool, je peux terminer ma valise sans me crever les yeux. Ça ne m’aide pas forcément à la finir plus vite, mais c’est quand même plus agréable. Par contre, ma prise de courant n’a pas ressuscité pour autant…

* Non, je n’invente pas des mots, je suis en avance sur mon temps, ce n’est pas pareil !

Publicité
Publicité
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>
Publicité