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Tadjikistan : la future superpuissance mondiale
Tadjikistan : la future superpuissance mondiale
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7 mai 2007

Guides de survie : Les communications

Vaste sujet que celui des communications. J’ai déjà commencé à en parler plus ou moins en parlant des routes et autres voies de communication. Je vais essayer de dresser un petit constat des moyens de communications « modernes » (c’est-à-dire tout ce qui n’est pas courrier délivré à dos de yack…). Nous verrons donc successivement :

Internet

Le téléphone mobile

Le téléphone fixe

Les "cabines" téléphoniques

Le courrier

1- Internet

Pour nous autres européens qui avons accès à l’ADSL, câbles ou autres technologies de pointe depuis quelques temps déjà, nous qui sommes familiers des 512, 1024 et autres chiffres vertigineux, la connexion tadjike normale nous fait l’effet d’un retour brutal au moyen-âge. 56 kbits, c’est le maximum de ce que j’ai pu obtenir que ce soit chez moi ou au travail. Et encore, quand j’avais 56 kbits chez moi, je sautais presque de joie et entamais une danse de la victoire autour de table à repasser. Donc on oublie tous les sites de téléchargement, on oublie la consultation d’e-mails vite fait le matin avant de partir à la douche (parce que vite fait, ici ça veut dire 20 minutes), on oublie ses habitudes de surf sur plusieurs site en même temps car ni la connexion, ni le matériel informatique mis à disposition au boulot ne le permettent. Déjà, si on essaie d’ouvrir un document Word tout en lançant le logiciel de messagerie de l’OIM, il y a environ 1 chance sur 2 pour que l’ordinateur se bloque définitivement.

Du coup, quand on essaie de mettre en ligne les super vidéos qu’on a filmées des répétitions des défilés de militaires, et qu’on lit l’avertissement suivant : Poids maximum de la vidéo – 150 Mo, et en dessous en plus petit : « l’envoi de votre vidéo peut prendre un certain temps suivant sa taille et la performance de votre connexion », on rit et on se prépare au pire. Ce qui fait plus rire encore, c’est le : « L’envoi d’une vidéo de 5 Mo avec une connexion ADSL peut durer jusqu’à 5 minutes ». Ici, avec ma connexion, ça prend au moins 15 minutes. Pour les plus grosses vidéos (22 Mo) ça m’a pris jusqu’à une heure !! Une heure, en soi, ce n’est pas si terrible. Le problème, c’est qu’on a rarement une heure de connexion sans interruption. En général, tous les quarts d’heures nous avons droit à une micro coupure de connexion. C’est comme pour les ordinateurs. Ça dure une demi seconde, mais c’est suffisant pour vous mettre votre travail en l’air. Là, c’est pareil : une demi-seconde et vous pouvez dire adieu à vos 75% de vidéo transférée et tout recommencer. Bref, la vidéo de 150 Mo on verra ça quand on sera de retour à la maison.

Ceci n’est valable qu’à Dushanbe bien sur. Dans les villages plus excentrés voire carrément reculés, ils n’ont déjà pas de lignes téléphoniques et seulement 2h d’électricité par jour, alors vous pensez bien que l’accès à Internet c’est totalement impensable (déjà, il faudrait qu’ils aient des ordinateurs !). Même si je sais que l’OIM, dans le cadre d’un de ses projets, essaie de passer des accords avec les fournisseurs d’Internet tadjiks pour qu’ils mettent en place un réseau jusque dans les points les plus reculés.

2- Le téléphone mobile

Déjà ce qu’il faut savoir (et que j’avais fini par remarquer toute seule), c’est qu’on ne paye pas les 10 premières secondes d’un appel téléphonique ici. Donc, les conversations ici sont toujours inférieures à 10 secondes, et sont répétées une dizaine de fois pour pouvoir faire une phrase en entier. Quand quelqu’un près de vous reçoit un coup de fil, vous pouvez être sure que vous allez connaître sa sonnerie par cœur dans les 10 prochaines minutes. Surtout qu’ils mettent leur sonnerie toujours au volume maximum (doivent pas connaître le mode vibreur) et qu’ils attendent toujours un certain moment pour décrocher, même quand ils savent pertinemment que c’est leur interlocuteur précédent qui est en train de les rappeler… Donc, ils finissent par décrocher, aboient deux ou trois mots en tadjik (ou en russe) et raccrochent. Et ça, 10, 20, 30 fois… Je ne sais pas si ils parviennent à se dire beaucoup de choses comme ça, mais c’est particulièrement saoulant à la fin. Ce que j’apprend plus tard, en revanche, c’est que quand on est appelé, en imaginant que la conversation dure plus de dix secondes, on paie aussi (moins que celui qui appelle, mais quand même). Du coup, ça donne moyennement envie d’être appelé.

Ensuite, le téléphone portable, comme en Europe (et dans beaucoup d’autres endroits aussi j’imagine) n’est pas seulement un outil pour pouvoir communiquer avec quelqu’un ne se trouvant pas à portée de voix. Ici le portable fait tout : téléphone, appareil-photo, caméra, et même chaîne stéréo. J’ai en effet remarqué que les propriétaires de portable avaient tendance à se promener avec leur appareil jouant un morceau plus ou moins reconnaissable avec le volume à fond. Enfin, le portable semble être roi puisque, en plein staff meeting, quand le téléphone d’un collègue émet sa sonnerie stridente (car il n’est pas question de le mettre ne mode vibreur ou silencieux), vous verrez votre collègue se détourner légèrement, décrocher, gueuler un « Allo » dans le téléphone (parce que l’interlocuteur n’entend pas bien, ou alors votre collègue pense que son interlocuteur n’entend pas bien) avant de se lever et de quitter la pièce pour continuer sa conversation en privé. Pendant ce temps, le staff meeting aura continué comme si de rien n’était et il n’y aura que vous pour avoir les yeux éberlués d’un merlan frit devant un tel comportement.

Vous l’aurez compris, on peut très vite haïr les portables…

3- Le téléphone fixe

Appeler en interne, à l’OIM par exemple, c’est pas compliqué. Chaque bureau a son petit numéro et puis c’est bon. Par contre, quand il faut sortir du cocon protecteur de l’organisation pour affronter la jungle des communications urbaines, c’est autre chose !!

Tout d’abord, faire le 9, pour accéder au réseau « normal ». Ou bien le 83, ou le 84 (ça dépend, parfois ils marchent tous, parfois il faut tomber sur le bon). Puis il faut attendre une nouvelle tonalité. Parfois elle vient, souvent elle ne vient pas. Ou alors pas du premier coup. Dans ce cas, il faut être bête et méchant (bête ça va, méchant, j’ai encore des progrès à faire) et recommencer jusqu’à ce que ça fonctionne. Une fois que la nouvelle tonalité résonne agréablement à vos oreilles, vous pouvez composer le numéro de votre correspondant.

Après une étude poussée de la question (statistiques à l’appui), j’en ai déduit qu’il fallait également composer le préfixe « 2 » avant le numéro en question. Là, soit vous avez de la chance et la ligne sonne jusqu’à ce que votre correspondant décroche, soit si vous avez moins de chance, la sonnerie s’interrompt sans aucune raison, ou alors votre correspondant décroche mais vous ne comprenez pas ce qu’il dit car votre ligne est « parasitée » par quelqu’un d’autre qui parle tadjik de manière très animée. Les jours où vous n’avez pas de chance, soit ça sonne occupé, soit une charmante voix préenregistrée vous indique en russe, tadjik, puis anglais que « le numéro que vous avez composé n’est pas en fonctionnement ».

Et puis, parfois, c’est le téléphone chez vous qui ne marche plus. Sauf que, bien sur, c’est assez handicapant car en général vous vous en rendez compte quand vous cherchez à vous servir du téléphone parce que vous en avez marre de ne plus avoir d’eau, parce que votre unique mode de cuisson ne fonctionne plus ou parce que vous venez de faire fondre la moitié de la multiprise en voulant aspirer votre cuisine. Et comme c’est toujours le week-end que ça se produit et que vous n’avez pas voulu avoir de portable (parce que vous haïssez les portables pour les raisons sus-mentionnées), et que donc vous n’avez d’autre solution que d’attendre lundi matin pour téléphoner à votre proprio, et bien vous vous sentez terriblement seul(e) et frustré(e).

4- Les "cabines" téléphoniques

Une chose est sure : vous ne vous servirez d’une « cabine » téléphonique (le terme téléphone public me semble plus approprié d’ailleurs) que si vous n’avez vraiment pas le choix. C’est-à-dire si vous êtes à l’agonie sur le bord de la route, à 10 kilomètres de l’habitation la plus proche et qu’il n y a aucune voiture à l’horizon que vous pourriez arrêter. Dans ce cas, si vous tombez sur un téléphone public (il n’y a guère de chances, mais chut, c’est moi qui raconte !!) vous avez le droit de remercier le ciel.

En ce qui concerne l’aspect pratique de la chose, je vous conseille d’oublier les cabines téléphoniques France Télécom qui fonctionnent avec des cartes téléphoniques. Oubliez même celles qui fonctionnent à pièces. Oubliez les téléphones à touches. Oubliez toute notion de conversation privée à l’abri des oreilles indiscrètes. Les téléphones publics sont situés n’importe où : contre un mur, sur un poteau au bord de la route. Ils ont un vieux cadran qui tourne. Ils sont bleus. Et on ne met pas de pièces. On téléphone, puis on paye un gamin (le plus souvent) qui passe sa journée à côté de « son » téléphone. Après avoir terminé votre conversation, vous prendrez soin d’aller à l’échope la plus proche pour acheter une bouteille de vodka bas de gamme (celle qui donne mal à la tête) afin de désinfecter soigneusement toutes les endroits de votre corps qui ont pu être en contact avec n’importe quelle partie du téléphone. Vous avez le droit de boire une rasade de vodka au passage (même si vous n’avez pas léché le combiné) juste pour essayer d’oublier l’épreuve traumatisante que vous venez de traverser. Mais attention, vous risquez d’avoir mal à la tête demain.

5 - Le courrier

  • Le courrier normal

Le courrier normal, c’est le courrier qu’on met dans une enveloppe timbrée qu’on dépose dans une boîte aux lettre, qui est ramassé par un facteur, trié et transporté avec amour jusqu’à l’adresse de votre correspondant soigneusement indiquée par vos soins. Enfin, ça c’est la théorie. En pratique, y’a des retards, des pertes, des adresses incomplètes, des facteurs incompétents, etc. Enfin, ça c’est en France. Concernant le courrier normal au Tadjikistan, je peux vous dire que les boites aux lettres ici sont bleu ciel, mais j’ai jamais vu de facteur, j’ai jamais vu quelqu’un poster une lettre, j’ai jamais vu une voiture bleu ciel écrit « la poste », j’ai jamais vu quelqu’un relever son courrier, et au vu des boites aux lettres de mon bâtiment, il semblerait que personne n’ait reçu de lettres depuis la chute de l’URSS.

Pourtant, les lettres arrivent vraiment. J’en ai reçu deux ou trois (en plus des colis d’aide humanitaire…), mais à chaque fois j’avais pris soin de donner l’adresse de l’OIM et je n’ai jamais vu le facteur apporter directement la lettre. Si ça se trouve, il n’y a pas de facteur et chacun doit aller à la poste centrale pour vérifier s’ils ont des lettres ou pas ?

Bref, le fonctionnement du trajet postal au Tadjikistan reste un mystère pour moi. J’ai pourtant envoyé des lettres aussi, trois même. Et même pas à l’étranger. Sauf que mes lettres à moi n’ont jamais transité par les services postaux et c’est une très bonne chose, car la chose en elle-même s’est révélée suffisamment traumatisante pour que j’en garde un cuisant souvenir (en plus de me faire perdre une journée pour rien). C’est ce que j’appelle envoyer une lettre (ou plusieurs) par courrier privilégié.

  • Le courrier privilégié

Tout d’abord, oubliez les expressions trompeuses et faussement rassurantes comme « aussi simple qu’une lettre à la poste » et ses dérivés, car ici, elles n’ont pas d’équivalent. Pour vous faire comprendre le bazar que c’est d’envoyer une lettre au Tadjikistan, je vais vous donner mon exemple personnel : l’envoi de trois lettres. Les deux premières doivent aller à des ministères tadjiks, la troisième à l’ambassade de Russie au Tadjikistan.

1ère étape : les écrire. Mais je ne sais pas faire les lettres en russe, c’est donc ma collègue Mehrinisso qui s’en charge. Outre qu’elle met deux heures à écrire ces lettres, parce qu’il faut ménager les formes et faire des phrases de trois kilomètres de long avec plein de trucs du genre « l’obligeance de bien vouloir être assez aimable pour étudier notre requête et fournir l’information que le bureau de Dushanbe de l’OIM a le culot de respectueusement demander à votre respectable et respecté Ministère », il faut qu’elle écrive presque deux fois plus de lettres que demandé.

Au début je ne comprends pas, alors elle m’explique que pour tout courrier adressé à un quelconque ministère tadjik par une quelconque organisation étrangère, il faut impérativement une lettre d’introduction (cover letter) à envoyer au MID (Affaires Etrangères) avec la lettre destinée à l’autre ministère. Le MID va examiner ledit courrier afin d’être certain que le contenu de ma lettre n’est pas subversif et ne vise pas à former un complot pour renverser le chef de l’Etat. Je vous vois rire, mais c’est très sérieux !! Depuis la révolution kirghize (le petit pays juste au dessus du Tadj) en 2005, l’administration (enfin, surtout le président) a très peur que le même scénario se reproduise ici aussi. Du coup, toutes les ONG ou OI sont considérées comme suspectes et doivent informer le MFA de toutes leurs actions, du courrier qu’elles envoient à chaque ministère, etc. Non seulement c’est chiant, mais cette histoire ralentit considérablement le travail de l’administration, qui ne brille pas par sa rapidité en temps normal déjà.

2e étape : les faire signer par Mahmoud, le chef de l’OIM. C’est également un exercice sportif qui requiert un timing sans faute et de la réactivité pour le choper au vol. Ma stratégie (enfin, la stratégie de pas mal de personnes) consiste à me poster en embuscade dans le bureau voisin du sien, avec la porte ouverte afin d’être avertie dès que Mahmoud passe dans le coin, puis de lui sauter dessus et de lui fourrer la pile de lettres dans les mains. Si ça fonctionne, il devrait vous accorder 2 minutes d’attention durant lesquelles vous devrez le convaincre que c’est super urgent et qu’il devrait les signer dans la foulée. En général ça ne marche pas et il faudra vous résoudre à les lui laisser pour qu’il les lise et les signe. Sauf que ça veut dire qu’un travail d’usure vous attend pour parvenir à les récupérer de nouveau, et signées. Dans le cas présent, j’ai du attendre le lendemain pour les récupérer. Et j’ai du aussi les faire relire par un autre de mes collègue qui a, comble de malchance, trouvé des fautes. Mes pauvres lettres ont donc été confié à ce même collègue pour un petit lifting avant d’être finalement signées par Mahmoud.

3e étape : référencer les lettres. Pour toute correspondance, il faut indiquer un numéro de lettre, et remettre une photocopie de la lettre en question à Mavsuma, une autre collègue. Sauf que celle-ci n’est pas là pour encore près d’un mois, et sa remplaçante a l’air d’être absente en ce jour crucial. Donc je vais quémander auprès d’une autre collègue un peu d’aide pour attribuer des numéros à mes trois pauvres lettres. Ce qui se fait sans trop de problèmes. Les photocopies réveillent un peu plus de mauvais souvenirs enfouis dans mon subconscient le plus profond. La photocopieuse date de l’ère glacière, a rarement du papier (donc il faut aller en demander à l’un des garde qui ont pour seul point commun de ne pas parler plus de trois mots d’anglais), n’a aucune fonction élaborée de tri, agrafage, photocopie recto-verso, etc, avale toujours trop de papier à la fois et s’étouffe (du coup faut tout ressortir à la main et ça salit méchamment les mains voire les manches), met trois plombes à réagir. Bref, le passage à la photocopieuse peut-être considéré comme une épreuve pour les nerfs.

4e étape : trouver des enveloppes (oui, parce qu’envoyer des lettres sans enveloppe, c’est pas super pratique)… La question est : où en trouver ? J’ai regardé dans tous les tiroirs et recoins de mon bureau et je n’en ai pas trouvé. Je vais donc déranger un collègue au hasard qui me dit d’aller voir dans le bureau d’untel qui est fermé… Quelques dizaines de minutes plus tard, je récupère des enveloppes.

5e étape : les noms et adresses des destinataires. Pour les adresses du MID, je vais voir Gairat, un de mes collègues qui passe plus de temps à poireauter dans ledit MID pour obtenir divers papiers que dans son propre bureau. Il connaît effectivement les adresses, mais il me dit que c’est pas la peine de l’écrire, ce sont les chauffeurs qui vont directement déposer les lettres. Il faut juste écrire le nom des ministères et l’adresse de l’OIM pour la réponse. Et il ne faut pas non plus fermer les enveloppes (en gros, à quoi ça sert de mettre une enveloppe si c’est pour la laisser ouverte et ne même pas mettre d’adresse ou de timbres dessus ?), pour que les services de sécurité puissent voir que ce n’est pas une lettre piégée ou une autre fantaisie de ce genre. Gairat écrit donc tout ce qu’il y’a à écrire, parce que mon écriture cyrillique ressemble désespérément à un CP apprenant péniblement à écrire et j’aimerais, autant que possible, faire une première (relativement) bonne impression… Et tant qu’à faire, il se propose pour emmener les lettres aux ministères concernés, mais pas avant demain car nous sommes maintenant en fin d’après-midi (c’est-à-dire 16h30) et Gairat ne retourne au MFA que le lendemain matin !

Il y’a une autre étape, facultative, mais qui arrive parfois, c’est le suicide par défenestration. En général, cette étape fait suite à la découverte que ledit Gairat n’a pas emmené la lettre au bon ministère. C’était juste un document à faire parvenir le plus vite possible à une personne du MVD (l’Intérieur) et Gairat a apporté la chose le plus vite possible au MID (Affaires Etrangères). Donc il faut tout recommencer et un jour et demi s’est écoulé entre temps…

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