C’est le grand jour, le jour J,
le jour de la délivrance, le jour de joie, le jour tout court… Enfin, c’est
encore la nuit puisqu’il n’est que 3h30 du matin. J’ai environ une demi-heure
pour me préparer et achever de boucler ma (grosse et encombrante) valise.
Depuis hier soir j’ai la chance d’avoir de nouveau de la lumière, je suis donc
toute joyeuse, quoiqu’un un peu endormie, et je n’hésite pas à faire une prière
enflammée au Dieu de la lumière tadjike, au Dieu des fusibles « made in China »,
au Dieu des moitiés d’immeubles éclairées, au Dieu de la providence, bref, à
tous les dieux qui me passent par le neurone (oui, parce qu’à cette heure-ci,
c’est service minimum). Je me mets en quête d’un truc à manger, ce qui s’avère
difficile puisque je viens justement de me débarrasser de toute forme de
nourriture fraiche, périmée, lyophilisée, sèche, emballée, etc. Bref, je n’ai
plus rien à manger. Et je n’ai plus rien à boire non plus. Parce que, résignée
à mon sort et persuadée que je ne reverrai plus le courant dans mon bel
appartement, je me suis également séparée de mes… (très) nombreux sachets de
thé. Et l’eau du robinet n’est toujours pas potable (hé ho, c’est pas la cour
des miracles ici, déjà l’électricité qui revient à point pour me permettre de
prendre une dernière douche chaude, faut pas trop en demander non
plus !!). Et je n’ai plus qu’un fond de jus de pomme à boire. Bah, c’est
déjà pas mal… Vivement qu’on soit dans l’avion, pour avoir droit à un whis…
euh, un jus de tomate…
Petit déjeuner achevé, je me
jette sous la douche pour me décrasser, certes, mais surtout pour me
réchauffer. Et oui, lumière ne veut pas dire chauffage. La prise murale est
toujours fondue, et j’ai vraiment trop peur de provoquer un court-circuit
général si je branche mon chauffage dans la prise d’en dessous. C’est pas que
je n’aime pas les bougies (c’est top dans des vieux pots de nutella vides, je
vous assure !), mais j’aime pas prendre des douches dans le noir, et il me
reste quelques affaires à compresser dans ma valise, et un dernier tour
d’appartement pour voir si je n’ai rien oublié (outre la vaisselle sale, des
miettes par terre, un parapluie à moitié cassé et une moitié de gateau au
frigo). Et le temps passe mine de rien. Il passe tellement vite d’ailleurs que
je suis surprise en entendant le
téléphone sonner… Oups, le chauffeur est déjà là. Pour le coup, je me dépêche
pour de bon, enfile mes quatre épaisseurs de vêtement (tous ceux qui étaient
trop volumineux ou trop lourds pour rentrer dans la valise), commence déjà à
transpirer et fait soudain une attaque… Les clés !!! Je vais en faire
quoi ? Bon, pas le temps de cogiter, il faut que je me descende valise,
sac à dos et sac en plastique jusqu’au coffre de la voiture.
L’autre personne dans la voiture
est scandinave (d’après son prénom) et accompagne une autre scandinave à
l’aéroport. Durant le court trajet j’essaie de ne pas céder à la panique qui
m’envahit toujours au moment des départs, et encore plus au moment des départs
précipités. J’ai bien mon passeport, mon billet, ma migration card, mon sac à
dos, mon précieux journal pas terminé, ma super paire de ciseaux qui date de
mon année de 2nde (mais qui coupent toujours, sisi !), la
lettre à remettre à Daler, les livres à remettre à Bactria, les CD à remettre à
Roshni, et les clés à remettre à Faridun… Pour les affaires à remettre, je
compte fortement sur la présence de Florian à l’aéroport, car sinon, je suis
dans la m… élasse.
Arrivée à l’aéroport. Beaucoup de
monde. Je galère à traîner toutes mes affaires et arrive haletante et
pantelante au hall du départ. Petit coup d’œil circulaire, petite décharge
d’adrénaline et pouls qui monte à 180 : Florian est nulle part… Oh merde
(oui, pour le coup, c’est plus de la mélasse, c’est carrément de la merde !!).
Je vais bientôt devoir passer la porte d’enregistrement, ce qui veut dire plus
aucun contact avec le monde qui reste à Dushanbe. Ce qui veut dire plus aucune
chance de refiler CDs, livres, lettre et clés… Alors, je me tourne vers la
dernière personne qui me soit connue dans cet endroit : le scandinave qui
accompagnait la scandinave qui elle est déjà partie se faire enregistrer. Je
lui explique brièvement la situation, lui demande si ça ne le dérange pas de
remettre tout ça à Florian de ma part et, sans attendre de réponse, lui fourre
le tout dans les mains et commence à lui donner le numéro de téléphone de
l’intéressé. Mon scandinave, tout pris au dépourvu, n’a pas le temps de trouver
une excuse foireuse bidon, et n’a plus que le choix de sortir son portable et de
me faire épeler consciencieusement le prénom de Florian ainsi que son numéro.
Voila, le destin de 3 personnes et d’un centre culturel se trouve entre les
mains de ce scandinave dont j’ai oublié le nom (Christian Petersen ?
Peter Christiansen ? Ni l’un ni l’autre ?). Je le remercie, lui dit
au revoir et m’engouffre par la petite porte, à peine arrêtée par le vigile qui
veut contrôler mon billet d’avion.
La salle d’enregistrement est
plus que pleine : elle est archi pleine. Je regarde directement dans le
coin nord-ouest (enfin, j’en sais trop rien, je ne sais pas où est le nord) où
se trouve le petit bureau d’enregistrement. Mon regard se pose sur les trois
personnes qui attendent devant, puis sur les deux qui se trouvent derrière eux,
ainsi de suite, jusqu’à ce que mes yeux se trouvent à regarder dans le coin
sud-est, ou la file, après avoir fait de ravissantes ondulations, se termine
enfin. Bon… ben… il ne me reste plus qu’à aller occuper la place numéro 8256,
tout là-bas au fond, et à bouquiner le dernier Gala. Sauf que nous sommes à
Dushanbe, donc il n’y a pas de Gala (ou alors en russe, mais j’ai même pas
envie d’essayer) mais il n’y a pas non plus 8256 passagers… Je me procure une
déclaration des douanes. Rien n’est traduit en anglais, donc je comprends pas
tout. J’essaie de remplir un peu au pif, et je verrai bien ce que ça donnera.
Peut-être que s’ils se concentrent sur ma déclaration des douanes mal remplie,
ils ne remarqueront pas les 10 kilos de surpoids de ma valise ?
La file avance lentement… très
lentement… trèèèèèès lentement. Il est tôt, et pourtant les nombreux enfants
présents (vacances de noël obligent) sont très réveillés et passent le temps en
jouant à trap-trap. Sauf que la pièce est quelque peu exigue, et surtout très
remplie. Et vas-y que ça enjambe les valises, et vas-y que ça tourne autour des
piliers, et vas-y que ça vous court entre les jambes, et vas-y que ça crie, et
vas-y que ça pleure, et vas-y que ça s’empale sur vous en vous écrasant les
pieds et en se mouchant sur votre pantalon… Bref, c’est long tout ça. Et dans
ces cas là, rien ne vaut une petite discussion avec vos voisins de devant, de
derrière, voire même de droite (oui, ceux qui sont arrivés après vous, mais qui
sont découragés face à la longueur de la file et qui aimeraient bien
s’incruster incognito avant vous…). En l’occurrence, je parle à mes voisin de
derrière. Un homme et une femme d’affaires, tous les deux résidants (ou
travaillant ?) en Belgique mais originaire de quelque part ailleurs. Et
surtout, un guide tadjik qui les a accompagné depuis l’hôtel pour prendre en
charge toutes les formalités du départ. Et qui est tellement gentil qu’il
s’occupe des miennes en passant. Effaré devant ma déclaration des douanes, il
entreprend la lourde tache de contredire la moindre de mes réponses (sauf pour
mon identité et le numéro de mon passeport, où j’avais quand même eu
juste !) tout en murmurant entre ses dents « non, franchement, vous
voulez vraiment rester à Dushanbe vous ! ».
Une fois ma déclaration toute
gribouillée, nous arrivons à l’endroit où on donne les bagages. Il y a une
antique balance (à aiguilles) à côté, et en proie à un doute affreux, je cours
me peser… 6 mois sans balance, il y a de quoi rendre folle n’importe quelle
fille, non ? Non, en fait, c’était pour peser ma valise… Bien sur, mes
nouveaux compagnons sont d’humeur très joueuse et s’amusent à monter à moitié
sur la balance pour faire monter l’aiguille dans les 50 kilos… Quand ils
finissent par se désintéresser de mon infarctus imminent, je pèse pour de bon
ma valise : 21 ou 22 kilos… Ça va, c’est pas aussi terrible que je le
pensais. C’est passé à 21,4 à l’aller, ça devrait bien passer au retour
non ? Je récupère mon ticket, place 21 A, et mon guide d’une matinée nous
quitte. L’avantage d’avoir poireauté pendant plus d’une heure avant
l’enregistrement, c’est que du coup j’attends presque pas avant d’embarquer
dans l’avion ! Bien sur, je ne suis pas la première. Et tout le monde a
mis ses manteaux, sacs et autres semi-remorques dans les compartiments au-dessus
des sièges. Donc je n’ai plus la place de rien mettre… Si, juste ma méga
tenture. Je cale donc mon sac à dos sous le siège avant, mais comme il est trop
grand, il dépasse vers moi. J’ai bien essayé de le pousser en douce plus loin
sous le siège du passager situé devant moi, mais un méchant coup de pied
arrière m’en a dissuadé… Donc je me retrouve avec deux fois moins de place que
les autres personnes pour mettre mes pieds. Et puis j’ai mon manteau de ski
(enfin non, le manteau de ski de Mélissa, qui est trop petit d’ailleurs) sur
les genoux, ainsi que ma veste en laine, ainsi que mes deux écharpes, ainsi que
la couverture que la compagnie aérienne distribue d’office, avec le petit
coussin.
J’aurais du être près du hublot,
mais les deux passagers assis à côté de moi ont annexé ma place d’office. Tant
pis, je n’aurais pas l’occasion de dire au revoir au montagnes tadjikes
saupoudrées de neige. D’ailleurs, en parlant de mes voisins. Les 9/10 de
l’avion sont remplis d’expatriés (dont un bon quart est français, le reste
parlant au moins l’anglais), et moi je me retrouve assise à côté d’un turc, qui
ne parle que turc (ou alors qui m’a bien caché ses capacités en anglais) et
d’un bulgare qui parle très bien turc et le russe. Je suis donc condamnée à me
taire une grande partie du voyage. Le voyage en lui-même se passe plutôt bien.
Je suis à l’étroit avec toutes mes épaisseurs et mon sac, et mon voisin turc me
saoule en se levant régulièrement pour aller aux toilettes, mais sinon on nous
nourrit et abreuve copieusement, j’épluche assidument le magazine de la
compagnie aérienne car les seuls journaux proposés à bord étaient en turc
uniquement (même pas de russe ! même pas d’anglais !), et je suis
contente d’arriver enfin à Istanbul. La première partie de mon voyage est
terminée.
Il est à peu près 10h (on a eu
une heure de retard au décollage) et ma correspondance est aux alentours de
15h. Je ne me presse pas et laisse allègrement tout le monde passer. Notamment
Marielle qui a une correspondance pour Nice dans la foulée. Je récupère sans
grande joie ma grosse valise, fais la queue au guichet pour faire tamponner mon
passeport, croise une dernière fois les belges, et me mets en quête de la
compagnie aérienne qui pourra me délivrer mon billet. En dépit de toutes considérations
de sécurité, je laisse ma valise en gardiennage auprès d’un vieil asiatique qui
a l’air de s’éterniser sur un banc. Ça fera toujours ça de moins à me
trimballer. Je cherche les départs internationaux (j’y suis passée il y a six
mois, mais j’ai déjà tout oublié !), finis par prendre un escalator avant
de me rendre compte de mon erreur : pour aller plus loin, il faut que je
passe toutes mes affaires aux rayons X. C’est pas que ça me dérange, mais il va
falloir que je passe l’épreuve une deuxième fois, quand je serai allée
récupérer ma valise. Enfin, si elle est toujours là, bien sur. Tant pis, je
passe mes affaires aux rayons X et moi-même au détecteur de métaux (comme ça,
pas de jaloux !) et avise une longue rangée de petites cabines aux
couleurs des différentes compagnies aériennes. Sauf que je ne sais pas quelle
est la mienne. C’est un billet imprimé, au fait (non, parce que je ne suis pas
bête à ce point quand même) : ça vient du site Marmara, mais il n’y a pas
écrit de compagnie dessus. Je finis par me laisser tenter par une petite cabine
et présente mon papier imprimé. La jeune fille m’indique la cabine adjacente.
Je fais la queue à la deuxième cabine et tends mon papier. La jeune fille
m’indique la cabine voisine. Je recommence le même cinéma, sauf que là il n’y a
pas de queue à faire. Le jeune homme est juste au téléphone avec deux personnes
différentes (un combiné sur une épaule, l’autre dans sa main gauche et tapage à
l’ordi avec sa main droite… chapeau !). Il me fait ainsi poireauter une
bonne dizaine de minute. Quand il daigne enfin s’intéresser à moi, je lui tends
mon papier, sans dire un mot (j’ai tellement l’habitude de ne jamais me faire
comprendre que j’ai pris l’habitude de tendre les choses sans parler…). Il
tapote deux ou trois trucs sur l’ordinateur, imprime un billet et me dit dans
un français parfait : l’enregistrement se fera à partir de 14h45, rangée
C. J’en reste bouche bée. Je m’étais vaguement attendue à un speech en turc
auquel je n’aurais rien compris, éventuellement un discours en anglais avec
accent à couper au couteau, mais en français !!
Armée de mon billet, je
redescends à l’étage en dessous par un
autre escalator, récupère ma valise auprès du vieil asiatique. Au moins il n’a
pas volé ma valise. Trop fatiguée pour chercher s’il n’aurait pas caché de la
drogue ou des explosifs entre mon yack en peluche et ma chemise de nuit
bourriquet, je remonte illico. Je repasse tout aux rayons X (avec plus de
difficultés, notamment pour hisser la valise sur le tapis roulant) et je m’échoue
pitoyablement sur un banc à proximité d’un panneau d’information. Je ne suis
pas la seule d’ailleurs. Toute une famille semble attendre sur le banc d’à
côté, et quelle n’est pas ma surprise de constater qu’ils sont russes (ou
qu’ils le parlent en tout cas). A croire que je suis poursuivie par cette
langue ! Je me plonge dans la lecture du seul livre que j’ai ramené (et
seul que je n’ai pas lu) : un roman policier. Rapidement lassée, je passe
aux mots croisés arrachés dans le 20 minutes que ma mère m’a consciencieusement
envoyé au cours de ces 6 derniers mois. Sauf que je dois être vraiment très
fatiguée. Ou alors tous ces détecteurs de métaux ont fini par me bousiller les
neurones. Toujours est-il que je suis incapable de mettre plus de 4 mots dans
la grille (quand même, c’est le 20 minute, c’est pas Metro non plus !) et
je passe une bonne heure à faire le sudoku « moyen »… Complètement
désabusée, je laisse tomber mes mots croisés et entreprend de rêvasser
consciencieusement sur la publicité (turque) affichée en face de moi.
Une demi-heure avant le début de
l’enregistrement, je me résouds à lever le camp et à abandonner ma moitié de
banc à d’autres voyageurs épuisés et en transit. Je me traîne péniblement
jusqu’à l’enregistrement où je constate avec horreur que je ne suis pas la
seule à avoir voulu prendre un peu d’avance afin d’éviter de poireauter
l’après-midi : la file coupe en deux le vaste espace ménagé entre les deux
rangées de guichets d’enregistrement. Trop fatiguée pour être malhonnête, je me
mets sagement à la toute fin de la file et commence à observer les autres
voyageurs de la file, mais aussi les voyageurs qui déambulent et les agents de
sécurité. Au bout d’un moment, lassée de mon observation, je me lance dans un
petit exercice destiné à achever mes deux derniers neurones : je calcule
mentalement le poids de chaque valise autour de moi que j’additionne au poids
de son (ou ses) propriétaire, puis je classe le tout par ordre alphabétique en
me demandant au bout de combien de sandwichs le bonhomme assis sur le banc à ma
droite va finir par avoir la vessie pleine…
J’en étais à la lettre P et au 4e
sandwich du bonhomme assis sur le banc à ma droite quand ce fut à mon tour
d’enregistrer mes bagages. Encore une fois, personne ne fit mine de s’intéresser
à mon léger surpoids (peut-être était-ce du à mon expression hagarde, mon teint
rouge brique et suant, et mes cernes aussi profonds que le trou de la
sécu ?) de bagages et on me remit ma carte d’embarquement : place
21A. Ils se sont donnés le mot ou j’ai une tête à occuper les places
21A ?? Toujours est-il que je ramasse en soupirant les affaires qui ne
partent pas en soute et, armée de mon nouveau (et dernier !!!) sésame,
part en quête de la bonne porte d’embarquement sous les yeux du bonhomme assis
sur son banc qui mâchonne d’un air absent son 5e sandwich.
Arrivée à ma dernière escale
avant la montée dans l’avion, je m’échoue stratégiquement sur un banc afin
d’être dans les premières à entrer dans l’avion. Après mon expérience de ce
matin, je compte bien caser tous mes bagages sans exception ainsi que mon
manteau dans le compartiment prévu (ou pas, c’est pas mon problème) à cet
effet. Je vais donc avoir besoin des trois quart dudit compartiment, et il faut
pour cela que j’arrive dans les premiers. Au signal, je rassemble vaillamment
mes forces et mon courage, hisse mon sac à dos sur les épaules, et pars comme
une flèche en direction de l’avion, renversant une hôtesse au passage mais en
veillant bien à lui coincer dans le nez la partie détachable de mon ticket
d’embarquement (c’est que je ne voudrais pas d’ennuis, voyez-vous). Je n’ai
jamais été bonne en athlétisme, mais je suis certaine d’avoir établi le nouveau
record du monde du 40 mètres avec bagages, si tant est que ce record existe.
Mes efforts sont couronnés de succès puisque je peux non seulement caser toutes
mes affaires dans le compartiment, mais aussi occuper la place près du hublot
(qui me revenait de droit, certes).
Après ce brusque effort, je tombe
dans une léthargie profonde et salue à peine les deux hommes qui s’installent à
côté de moi. Lorsque nous décollons enfin, je sors mon roman pas terminé, et
commence à lire. J’en ai pour 3h de vol, largement de quoi le finir si personne
ne me dérange… Mes compagnons de vol essaient bien d’engager la conversation,
mais voyant que je ne réponds que par monosyllabes, ils abandonnent rapidement
et se contentent de réflexions régulières sur ma concentration ou les risques
thérapeutiques d’une lecture trop longue. Je consens quand même à m’interrompre
pour avaler mon 3e jus de pomme de la journée et ingurgiter mes 5 et
6e repas ou snacks de la journée. J’attaque les dernières pages au
moment de l’atterrissage, et termine tranquillement ma lecture pendant que tout
le monde se bouscule et se piétine pour sortir. Je descends ensuite
tranquillement de l’avion après avoir rassemblé mes nombreuses affaires et me
dirige d’un pas lent vers les files de contrôle des papiers. Je tends mon
passeport au monsieur confortablement installé derrière sa vitre sans lui dire
un mot (par fatigue ou par habitude, je ne saurais le dire) et me dirige avec
une mauvaise volonté flagrante vers le tapis roulant croulant des bagages
fraîchement débarqués.
De nouveau en charge de ma grosse
valise verte, je me dirige d’un pas pesant vers la sortie. Rapidement en sueur
par l’effort et ressemblant à un mulet engoncé dans une couche impressionnante
de vêtements, je débouche sur la salle d’arrivée. Là, derrière le long ruban
rouge, se trouve une petite foule compacte qui brandit des panneaux divers et
variés, ou simplement un grand sourire nerveux. Je cherche vaguement ma moman,
mais je ne la vois pas. Par contre, je remarque assez vite une silhouette
solitaire (‘I’m a lonesome cowboyyyyyyyyy !) qui m’est vaguement
familière. Didier, lui, est là. Bien à l’heure, et toujours galant, il se
charge de mon énorme valise verte. Nous sortons rapidement de l’aéroport,
montons dans la vieille Renault datant 1867 mais qui marche toujours, et nous
mettons en route pour l’appartement. Submergée par le nombre impressionnant de
voitures, de lumières (quoique, ce ne sont pas les mêmes lumières qu’à
Dushanbe : exit les drapeaux tadjiks clignotants et les traineaux de père
noël…), je mets du temps à me réhabituer aux aspects les plus quotidiens de la
vie parisienne : les bouchons. Et bien que je sois crevée, que j’étouffe
sous mes épaisseurs et que je trépigne d’impatience de me prosterner devant la
première machine à laver qui croisera ma route, je suis obligée d’entrer dans
une sorte de léthargie profonde pendant une heure entière, sauf quand Didier me
confie qu’il ne sait pas si finalement il aura assez d’essence pour rentrer
puisqu’il n’avait pas prévu les bouchons… Petite montée d’adrénaline qui
parvient à me maintenir en vie jusqu’à l’arrivée. Dernière épreuve : la
montée des quatre étages. Je laisse ma grosse valise à Didier et je monte sac à
dos et ma grosse tenture. Enfin, je m’écroule dans le vestibule, pantelante. Me
débarrasse de trois kilos de pulls et de chaussures, reprends à peine mon souffle
et court dans la cuisine ou je tombe à genoux et en adoration devant la vieille
machine à laver antique dont la peinture s’écaille. Je remercie le bon dieu de
m’avoir permis de connaître ce moment d’intense bonheur et je tombe raide
morte.
Ainsi s’achève ce périple de six
mois au Tadjikistan.