A Kuliab
Première constatation au réveil : il fait gris et moche ! Et ça ne
s'arrange pas, loin de là. Florian, Roshni, Jonas et moi venions tout
juste de quitter la ville quand les toutes premières gouttes depuis que
je suis arrivée commencent à tomber !!! Il était temps : 128 jours sans
pluie (probablement plus, mais comme j'étais pas là, je ne peux pas
confirmer). Par contre, ça reste un simple pipi de chat... pour
l'averse diluvienne et les inondations, on repassera.
Kuliab étant plus au sud, la pluie cesse rapidement à mesure que nous
progressons. Mais le ciel reste désespérément gris et couvert, ce qui
gâche fortement les photos du barrage de Nurek (ou Nurek dam pour les
anglophones). C'est le barrage le plus grand au monde (300 mètres de
haut) et le plus haut en altitude (mais la j'ai pas trouvé les
chiffres... si quelqu'un a une heure à perdre sur google... je suis
preneuse de toute info !). Il a été construit entre 1961 et 1980, par
les Soviétiques donc. Mais le barrage de Rogun (toujours au Taj) dont
la fin de la construction est prévue pour je ne sais pas quand, devrait
battre ce record et culminer a 335m. On ne voit pas directement la
construction, seulement le lac qui s'est formé à la suite de la
construction (98 km2 quand même...)
Après près de 3h de route, nous arrivons à Kuliab. La route n'était pas
très mauvaise, selon nos standards, et carrément high-tech selon les
standards Tajiks. C'est bien simple, c'est la plus belle route du
Tadjikistan, hors Dushanbe bien sûr car la Rudaki ne souffre aucune
compétition. Et vous savez pourquoi ? Et bien tout simplement parce que
ce cher Emomali Rahmonov (le président) est Kuliabi à l'origine. C'est
pour ça que j'ai conseillé à mes collègues d'essayer d'élire un
président venant de Khorog ou de Khujand la prochaine fois, histoire
d'avoir plus d'une route de refaite...
Dans la ville (et même autour de la ville), on voit pas mal de
portraits du président : dans les champs, avec des enfants, bref, le
truc classique du culte de la personnalité. Mais ce qui est plus
frappant encore, c'est les célébrations des 2700 ans de la ville. Oui,
oui, cette année, on fête les 2700 ans de Kulyab. Je ne sais pas
comment leurs scientifiques font pour être aussi catégoriques et aussi
précis, à l'année près, et je vous prierai de ne pas y voir de
troublante coïncidence avec la ville natale du président et les
élections présidentielles qui, comme par hasard, tombent aussi cette
année.
Dès qu'on s'éloigne de la capitale, on trouve de moins en moins de gens
qui parlent russe (sauf les vieux qui ont encore des réminiscences du
système soviétique). Tout est donc en tadjik, sauf les banderoles
indiquant que c'est le 2700e anniversaire de Kuliab. Ca, s'est écrit en
russe, en tadjik et même en anglais (avec pas mal de fautes, certes)
alors que Kuliab est loin (que dis-je, très loin !) d'être une ville
touristique qui pourrait potentiellement attirer les 4 touristes qui
visitent annuellement le Tadjikistan. Et pour être sur que personne ne
rate cet évènement, ces pancartes sont affichées un peu partout : sur
les panneaux publicitaires au bord des routes, sur les murs, sur des
banderoles tendues dès qu'on trouve deux poteaux pas trop éloignés, sur
des citernes d'eau datant de la Russie tsariste au moins, sur les bas
côtés, sur les façades des immeubles, sur les flancs des collines (le
tout écrit en grosses pierres blanches savamment alignées pour qu'on
puisse les voir de très loin), aux abords des villes sous la forme de
petits arbustes taillés (c'est plus « bienvenue à... » mais « Kuliab,
2700... et après je sais pas ce qu'il y'a écrit, c'est du Tadjik en
général). Et pour couronner le tout, un grand monument a été construit
en commémoration de cet anniversaire. C'est un monument à la tadjike,
c'est-à-dire très grand et plein de dorures. Jonas nous dit que ce
monument a coûté tellement cher que le gouvernement a ponctionné sur
les fonds alloués au secteur de la santé. C'est sur qu'entre rénover
les hôpitaux (et je sais de quoi je parle) et construire un monument au
milieu d'une bourgade paumée, y'a pas à hésiter !!
Midi arrive et nous avons faim. Sauf que Kuliab n'est pas Dushanbe, et
Kuliab n'est pas une ville super touristique, et nous sommes en plein
ramadan... Du coup, comment trouver un restaurant et surtout un
restaurant ouvert ? On reste le long de la rue principale et on finit
par trouver un truc qui ressemble vaguement à un restaurant (тарабхонаи
en Tadjik je crois). On est bien accueillis, on a pas de difficultés à
trouver une table de libre puisque l'endroit est totalement désert
(sauf un monsieur qui mange dans un coin mais se dépêche à s'éclipser
quand il nous voit arriver... peut-être qu'il a peur qu'on aille
rapporter aux commères du village qu'il y'en a un qui ose manger en
cachette malgré le ramadan ?). Les standards sanitaires ne doivent pas
être les mêmes qu'à Dushanbe puisque, en nous asseyant, je remarque un
cafard qui remonte joyeusement le mur d'en face... Tant qu'il n'y a pas
de cafards dans nos assiettes, ça va encore. Mais les surprises ne
s'arrêtent pas là. En voyant l'état des verres (à ce stade, j'appelle
même plus ça sale... on dirait franchement qu'il y'a des restes de
nourriture à l'intérieur, sans parler des traces graisseuses sur les
parois), je commande une Baltika que je bois à la bouteille (imitée par
Florian et Jonas, Roshni se contentant de la bouteille d'eau qu'elle a
emmené avec elle). Les couverts seront soigneusement essuyés avec une
serviette en papier et Roshni et moi hésitons à les frotter avec la
lotion désinfectante pour les mains que nous emmenons partout avec nous
(à la différence des mecs qui donnent l'impression de découvrir que ce
genre de chose pouvait exister). Pour le repas, c'est très simple,
c'est la même chose pour tout le monde (je crois qu'il n'y a pas trop
le choix !) : soupe de raviolis à la viande (les raviolis, hein, pas la
soupe) et viande de mouton (que j'offre généreusement à mes camarades,
le mouton étant loin d'être ma viande préférée). Personne ne trouve de
cafards, mouche, vers dans sa nourriture, mais nous attendons tous
demain pour pouvoir dire avec certitude que la nourriture était
correcte.
Fin du repas, nous sortons, allons voir une sorte de mausolée qui a
encore des dorures partout, passons devant une mosquée en bord de route
et puis sortons de la ville. Nous décidons de nous rendre à la montagne
de sel, qui est censée se trouver un peu avant Kuliab mais que nous
n'avons pas vu en venant, malgré nos efforts et nos vues perçantes... A
force de demander, on finit par trouver la fameuse montagne de sel, qui
ressemble à n'importe quelle autre montagne, sauf qu'elle a des
traînées de sel par-ci par-là (qui ressemblent à des traînées de neige
de loin) et une sorte de rivière/lac de sel.
Sur le chemin du retour, on décide de faire un détour pour aller voir
le barrage de Nurek (et pas seulement le lac), guidés par Jonas. Le
barrage est assez imposant, il y'a plein de pylônes électriques
partout, et surtout, surtout, il y'a un portrait du président accroché
sur un bâtiment au milieu des pylônes électriques... C'est un endroit
paumé, ou personne ne vient jamais (à part pour voir le barrage, car il
n'y a strictement rien autour, même pas une route) et ils accrochent
quand même un portrait du président qui est tellement loin qu'il est
difficilement visible à l'œil nu.... Rha, ces tadjiks alors !
Dedoushka (= papi = Jonas) ayant faim (il a toujours faim !! Il a passé
tout le trajet aller à manger du pain, et des gâteaux sur le chemin du
retour), on s'arrête manger une pizza en arrivant à Dushanbe. Il est à
peine plus de 18h, mais bon... Raffaël (qui était resté à travailler)
nous rejoint pour papoter un petit peu et puis chacun rentre chez soi.
On a rien foutu aujourd'hui, à part être assis dans une voiture et
pourtant je suis crevée (dedoushka aussi !)...
PS : les informations techniques et factuelles sur le barrage de Nurek ont été prises sur Wikipedia...