bonnes et moins bonnes nouvelles
Le deuxième et dernier vendredi 13 de l'année (pour les ignares, et pour ceux qui n'ont pas un agenda sous les yeux, le 13 janvier était également un vendredi).
Il y'en a qui courent jouer au loto ou qui explorent méthodiquement
leur jardin à la recherche d'un trèfle à quatre feuilles, voire pour
les plus tricheurs/désespérés, qui vont jusqu'à trafiquer un trèfle à
trois feuilles pour qu'il se retrouve avec quatre feuilles (pour les
citadins, à moins de découper un trèfle à quatre feuilles dans un bout
de laitue, j'ai pas de solution...).
D'autres courent se cacher sous leur couette pour échapper au mauvais
sort, refusent de sortir de peur d'être obligé de passer sous une
échelle, ne se lavent pas de la journée de crainte de casser un miroir
et les plus superstitieux vont jusqu'à éloigner à coup de lance-pierre
tout chat qui ne soit ni blanc ni beige (et je n'ose pas imaginer ce
que les étourdis qui se rappellent seulement aujourd'hui que les chats
noirs portent malheur vont faire à leur charmant compagnon un peu trop
foncé...).
Et puis il y'a les opportunistes (dont je fais partie, je l'avoue) qui
attendent la fin de la journée (voire le lendemain) pour décider si le
vendredi 13 porte malheur ou non. Dans mon cas, le cru octobre 2006
sera plutôt mitigé. Disons que les bonnes nouvelles sont tombées dans la
première partie de la journée, et les contretemps plus tard dans
l'après-midi.
Première occupation de la journée : l'organisation de la sortie à
Kulyab demain. Après un échange soutenu de mails et quelques coups de
téléphones pour informer tout le monde en temps réel, le rendez-vous
est officiellement fixé à 8h30 demain matin, et un parcours de
ramassage (presque scolaire) est organisé pour Roshni, Jonas et moi. En
soi, ce n'est ni une bonne ni une vraie mauvaise nouvelle (disons que
Vendredi n'aura pas cherché à semer la zizanie, pour rester polie, dans
nos plans du week-end).
Première vraie bonne nouvelle : Mehrinisso m'appelle pour me dire qu'on
(enfin j'ai, mais comme elle m'accompagnera pour traduire, on va dire
on) a rendez vous mardi matin à 9h avec le responsable du Département
de la Prévention des Migrations Illégales (DPIM, c'est plus court). Il
aimerait d'ailleurs avoir une copie des questions que je compte lui
poser afin de se préparer à y répondre. Qu'à cela ne tienne !! Je
m'occupe de tout ça ce week-end (enfin, dimanche pour être plus
précise) et j'envoie le tout à Mehrinisso pour traduction lundi matin.
Mehrinisso me dit aussi que le représentant du Service Fédéral des
Migrations russe (FMS) est occupé en ce moment mais devrait pouvoir me
recevoir en fin de semaine prochaine. Mais que demande le peuple ?
C'est, à ce moment là en tout cas, un jour faste pour moi !
Autre bonne nouvelle : Rukhshona m'invite pour la énième fois à
partager son repas avec elle et Rukhshet (son assistant) : crêpes
faites par sa mère, mais fourrées à la viande cette fois. C'est pas
mauvais du tout ! On discute en même temps du sujet de la réunion de
lundi : le changement de système de pension. Jusqu'à présent, les
employés de l'OIM cotisaient chaque mois une petite somme qui était
versée dans un fond de prévention, et cet argent leur était remis
lorsqu'ils quittaient l'entreprise. L'OIM n'étant présente au
Tadjikistan que depuis 1994, je ne peux pas dire comment ça se passe
pour ceux qui atteignent l'âge de la retraite. Mais ce système va
disparaître, et les employés de l'OIM vont être intégrés au système de
pension de l'ONU. Dans ce système, il faut cotiser un minimum de 5 ans
avant de pouvoir prétendre à quoi que ce soit, et une fois ce seuil des
5 ans passés, l'employé n'est assuré de recevoir sa pension que
lorsqu'il partira à la retraite.
Et au Tadj, en tout cas parmi les
employés locaux, c'est loin de faire l'unanimité. Avec la chute de
l'URSS, toute notion de confiance dans les administrations, banques,
promesses de long terme et dans le futur a disparu. On ne peut pas non
plus trop en vouloir aux gens : toutes leurs économies, qui étaient
déposées dans la Saving Bank soviétique ont disparu du jour au
lendemain avec la fin de l'URSS. C'est pourquoi très peu de Tadjik (ça
doit être sûrement pareil dans les autres républiques anciennement
soviétiques) ont de compte en banque et encore moins déposent leurs
économies sur ces comptes. Imaginez alors ce que ça représente pour eux
de savoir qu'ils ne pourront toucher leur argent que dans 20, 30 voire
40 ans.
Rukhshona me disait que ce qui avait le plus changé avec la fin de
l'URSS, c'était la confiance dans le futur. Avant, quand on faisait des
études, on était certain de trouver un travail, c'était une obligation
de l'état. Ses parents ont tous les deux fait des études d'ingénieur,
et à la sortie de l'école, l'état leur a trouvé un travail. Avant, on
ne s'inquiétait pas trop pour le futur car Moscou (et le système
soviétique) était là au cas où. Maintenant, on est sur de rien :
l'école n'est plus gratuite, et on peut très bien être diplômé en
économie ou en droit et se retrouver à faire chauffeur dans une
organisation internationale (comme la sœur de Mehrinisso) ou travailler
dans le BTP en Russie de manière illégale, et pire encore, être au
chômage (sachant qu'ici, je ne crois pas qu'il y'ait d'allocation
chômage, et s'il y'en a une, ça m'étonnerait qu'elle soit bien élevée).
On peut très bien mettre en place un magasin, un business, et du jour
au lendemain voir tout ça détruit car l'Etat aura décidé de changer le
bazar de place (ça se fait beaucoup en ce moment), ou parce qu'une
grande entreprise étrangère aura décidé de construire un immeuble ou un
centre commercial à l'endroit précis où tu auras établi amoureusement
ton commerce. Inutile de dire qu'il n'y a bien sur aucun dédommagement
pour ça, et qu'on te prévient rarement à l'avance : un matin, un
représentant arrive et te dit que ton magasin doit fermer car il va
être détruit dans la journée ou dans la semaine. Et quand on ne détruit
pas ton magasin, on peut tout simplement te le prendre. C'est-à-dire,
que quelqu'un (qui souvent a des contacts dans la mafia ou dans les
sphères dirigeantes) arrive un jour dans ton magasin, trouve qu'il
marche bien, et te remercie de l'avoir mis en place. Et toi, tu n'as
rien à dire, à part vider les lieux (à moins bien sur que tu ne
possèdes toi-même des contacts dans la mafia, ou que tu n'aies des
protections haut placées).
La pauvreté ambiante fait que les gens ne sont même pas surs de ce
qu'ils vont manger le mois prochain ou l'année prochaine, s'ils
arriveront à payer les études de leurs enfants jusqu'à l'université,
alors de se dire qu'ils toucheront une retraite quand ils auront 60
ans, c'est un peu une hérésie pour eux. Déjà, ils ne sont pas surs
d'être toujours vivants à 60 ans, et tellement de choses peuvent se
passer entre temps (certains ont connu le système soviétique, la chute
du système soviétique, la guerre civile, et le passage à un système
plus libéral, dans le sens ou rien n'est acquis et rien n'est garanti).
Bref, tout ça pour dire que Rukhshona, ainsi que la grande majorité des
employés de l'OIM était contre ce changement de système...
A 18h, je me rends de nouveau au 38 Loïk Sherali Street pour les cours
de Russe. J'espère que nous serons plus que deux cette fois, car sinon
les cours de russe seront en sursis (il faut être minimum 4 pour faire
un groupe). Mais c'est pire cette fois : personne ne se pointe. Je
papote donc avec la prof de russe, d'abord en anglais, et puis en
mélange de russe et anglais (autant s'entraîner dès que possible)
pendant une vingtaine de minutes, puis on part. Cette fois, on ne donne
même pas de rendez vous pour la semaine prochaine (de toute façon, je
commence à en avoir marre de venir pour rien à chaque fois) et je
renonce presque à ces cours de russe car, d'ici à ce qu'ils commencent
vraiment, il ne me restera plus qu'une semaine de stage !