Ce matin, il fait un grand et
beau ciel bleu. Tant mieux, ça fera plus de luminosité dans mon bureau, car je
crains qu’aucun miracle ne se soit produit dans la nuit pour rétablir
l’électricité dans le quartier. Mais soleil ne veut pas dire chaleur, surtout à
cette époque de l’année. La neige tient fermement au sol, l’air reste glacial,
et le passage par le mini-parc devient limite suicidaire pour toute personne ne
sachant pas faire du patin à glace ou ne disposant pas de l’équipement
nécessaire… J’arrive péniblement au bout du chemin et vais directement voir
Mavsuma pour avoir une voiture pour aller à l’IRCLM. J’avais prévu d’y aller.
Sauf que quand Mavsuma me dit que du coup je vais rater le plov, je m’arrête
net. Quel plov ??? Celui de notre nouveau chauffeur (dont j’ignore le
nom). L’OIM a enfin remplacé notre chauffeur décédé et le nouveau venu a décidé
de faire un plov pour célébrer son arrivée (il paraît que c’est courant). Pas
question que je rate un plov. C’est vrai que c’est super écoeurant quand ce
n’est pas bien fait, mais ça peut-être un tel délice parfois !!! Tant pis
pour mon déplacement, ça attendra cet après-midi.
A midi, donc, je me rends à la
minuscule cuisine de l’OIM qui est déjà surpeuplée. On manque d’assiettes, du
coup Mavsuma, Rukhshona, la femme de ménage et moi ne prenons qu’une assiette
pour 4 et allons déguster notre plov dans le bureau de Mavsuma. Ce n’est pas le
meilleur plov que j’ai mangé (c’était sans contestation possible celui du papa
de Rukhshona), mais il est bon. Kurbon, qui partage le bureau de Mavsuma, en
profite pour se moquer de mon accoutrement et tient absolument à m’expliquer
comment être une véritable femme afghane. Il m’emmitoufle la tête de manière à
ce que seuls mes yeux dépassent et Léonid insiste pour prendre une photo…
Pffff, de vrais gamins.
Après manger, Youri m’emmène à
l’IRCLM où je découvre le sens du mot paradis terrestre : électricité,
lumière, chauffage. C’est amplement suffisant pour m’emplir de bonheur (comme
quoi, un rien rend heureux quand on n’a pas grand-chose !!!). A un moment,
même, Mukarrama ouvre la fenêtre car elle trouve qu’il fait trop chaud. O
sacrilège, ô la malheureuse !! Si ceux du bureau voyaient ça, elle
pourrait être fusillée sur le champ !!
Mehrinisso et moi parlons des
nouvelles lois russes sur les migrants. Elle insiste sur le fait que la
promulgation de ces lois est une bonne chose (car elle améliore sensiblement
certains points), mais que si elles ne sont jamais appliquées, ça ne changera
rien du tout !!! On discute aussi d’autres choses : du système
éducatif, des histoires de certains migrants expulsés. Mukarrama, qui fait son
doctorat sur l’adoption, me demande comment ça se passe en France, si c’est
difficile, pas difficile, etc. Un peu plus tard, Zarina, la standardiste me
tend le téléphone en disant que c’est pour moi. Pour moi ?? Qui diable
pourrait m’appeler jusqu’à l’IRCLM, alors que je rentre au bureau dans pas
longtemps ? Et bien, à ma grande surprise, c’est Roshni qui a réussi à
retrouver ma trace jusqu’ici.
A 15h30, Mahmasaid vient me
chercher alors que je n’ai pas fini de poser toutes mes questions à Mehrinisso.
Comme Muzaffar est très pressé, je n’ai pas d’autre choix que de monter dans la
voiture et retourner au bureau. Tant pis, j’y retournerai demain pour terminer
ce que j’ai à faire. C’est toujours mieux que de rentrer à pieds…
De retour au bureau, Rukhshona
vient me rendre visite et m’offre, comme d’habitude ou presque, un sandwich. On
papote un peu, et mettons au point notre petit thé de dimanche. Ah oui, j’ai
oublié de vous dire que j’avais invité Rukhshona, Roxana, et Dila à venir boire
un thé et manger des crêpes dimanche (pour mon dernier dimanche d’ailleurs)
après midi. Apparemment, Dila ne peut pas venir, mais le frère de Rukhshona se
propose de la remplacer. Du coup j’en parle aussi à John, histoire qu’il y ait
deux représentants de la gent masculine (même si John ne parle pas russe et
sera donc incapable de communiquer avec le frère de Rukhshona). Peu après son
départ, le groupe électrogène tombe en panne. John et moi, assis dans la
pénombre, attendons de voir si Leonid parvient à le remettre en route, mais
plusieurs minutes passent sans que rien ne se passe. On en déduit qu’on va
également renoncer aux ampoules ce soir. On allume chacun notre ordinateur
portable pour tenter de continuer à travailler un peu, et notre éclairage se
résumera à la faible lueur émise par nos écrans respectifs… Lugubre.
Je pars avant John pour me rendre
au resto arménien. Il me dit qu’il me rejoint dans un petit moment et que je
n’ai qu’à lui garder une place. J’aurais pu l’attendre, mais je suis vraiment
trop engourdie à rester assise sur cette chaise glacée dans ce bureau glacial.
Alors je me mets en quête de trouver le resto arménien. On m’a dit que c’est
pas loin de l’OIM, en face de la prison. Oui, je sais où est la prison. C’est
un long mur vaguement rose (drôle de couleur pour une prison, n’est-ce
pas ?). Je marche donc sur le trottoir opposé à la prison, en regardant
attentivement les façades des immeubles tout en faisant attention où je mets
les pieds, mais je ne vois rien. Je dépasse la prison et je ne vois toujours
rien. Je reviens donc sur mes pas, décidée, s’il le faut, à retourner au bureau
en pleurnichant pour dire à John que ce vilain restaurant s’est encore caché,
que c’est trop injuste et que j’ai froid aux pieds… Soudain je remarque un
petit néon (forcément éteint puisqu’il n’y a plus de courant) que Roshni
m’avait indiqué comme marquant l’entrée du restaurant. Remplie d’espoir je
regarde l’entrée du bâtiment, et mon espoir se calme un peu : c’est
franchement lugubre. Si je n’avais pas un peu honte quand même d’aller
pleurnicher auprès de John, je n’aurais jamais essayé de rentrer là-dedans. Mais
bon, quand on a l’âme d’une aventurière, il faut savoir prendre des risques. Je
m’approche précautionneusement de la porte ouverte, entre dans le hall et
observe l’endroit. En face de moi, un vieil escalier poussiéreux qui ne semble
pas donner sur un palier très engageant. A gauche et à droite deux portes
fermées qui semblent renforcées. Je m’approche de la porte de droite et colle
mon oreille. J’entends vaguement des voix. Oui, mais si ça se trouve c’est un
repère de mafieux tadjiks qui vont m’égorger si j’essaie de frapper à la porte,
et moi j’ai pas envie de mourir pour un simple resto !! Encore plus
précautionneusement, j’ouvre tout doucement la porte, en espérant presque
qu’elle soit fermée à clé, ce qui m’aurait permis de m’enfuir en courant et
d’aller chercher John. Non, la porte s’ouvre. Je passe timidement la tête par
l’entrebâillement, avise un long couloir sombre et une vague lueur au fond.
Hésitant toujours sur la conduite à tenir, j’attends un peu. A ce moment-là,
une femme traverse le couloir et s’arrête en me voyant. Je lui demande, apeurée,
si c’est bien là le restaurant arménien et, à mon grand soulagement, elle me
répond que oui. Ouf !! Je m’avance donc le long du couloir et découvre
avec joie que plein de visages familiers, dont celui de Roshni, occupent la
pièce. Malheureusement, aucune place n’est disponible près d’elle, et la
moyenne d’âge des autres dépasse clairement les 45 ans. Tant pis, John devrait
arriver d’un moment à l’autre et je compte insister fermement pour qu’il
s’assoie à côté de moi. Pas question que je supporte une discussion sur les
souvenirs de la guerre de Corée de l’un ou sur les souvenirs du temps de JFK de
l’autre…
Le repas n’est pas très bon…
Peut-être est-ce du à la coupure de courant ? Toujours est-il qu’il n’y a
que des shashliks au menu et qu’ils mettent un temps fou à arriver. La table
est éclairée à la bougie, ça donne une ambiance assez sympathique et je
regrette seulement que Roshni soit si loin. Apparemment, certains et plus
particulièrement certaines sont assez portées sur la bouteille et malheureusement,
le vin n’est pas donné dans ce restaurant : 70 somonis la bouteille. Ça
fait rapidement grimper la note et mets un gros bazar au moment de payer car
certains n’ont pas bu de vin du tout, d’autres seulement un verre, d’autres
deux, etc…
Au moment de partir, je discute 5
minutes avec Roshni, qui monte ensuite dans la voiture d’une personne habitant
loin du restaurant comme elle. John, Mike (un des zimbabwéen) et moi, habitons pas
loin et décidons de rentrer à pieds. Le retour est périlleux en raison des nombreuses
plaques de glace et de mes semelles lisses, mais nous parvenons dans nos
appartements respectifs sans encombre.