Rencontre avec le TPLD (Tadjik le Plus Lourd de Dushanbe)
Rubrique people : je reçois enfin un mail de cet ingrat de John qui
trouve le temps de nous écrire seulement un mois et demi après être
parti !! Sans oublier que c'est grâce à ma ténacité que j'ai réussi à
extorquer à ce malheureux la promesse d'un vrai mail... le pauvre
devait redouter de recevoir un mail par semaine demandant de ses
nouvelles d'un ton angoissé. Tout va bien à Hambourg, il a beaucoup de
travail (c'est de la provocation ?) et galère 3h par jour dans les transports en commun... Ahhh... c'est dur la vie...
Sinon, mon après-midi est occupée par la correction du rapport
intermédiaire sur le projet prévention du VIH. C'est très intéressant
et ça donne plus envie que jamais de faire de l'implémentation de
projet... Pour me remercier de mon aide (alors qu'il n'y a vraiment pas
de quoi), Rukhshona me donne un bout de gâteau chocolat/noix de coco, un hot
dog (préparé par sa moman) et des pistaches. Elle me dit aussi
qu'aujourd'hui c'est son anniversaire mais qu'elle ne veut pas trop
ébruiter la chose, car nous sommes encore en plein mois de ramadan
(donc pour la fiesta au bureau, c'est pas trop ça), mais que je suis
invitée samedi chez elle.
Sur le chemin du retour, aux alentours de 18h45 (donc une fois qu'il fait bien nuit), je fais une expérience plutôt désagréable (la première du genre, et j'espère bien la dernière) : je tombe sur le Tadjik le plus lourd de Dushanbe...
Récit détaillé : Je sautillais allègrement sur le chemin du retour en
chantonnant sous ma petite cape rouge, un panier plein de victuailles
sous le bras quand soudain... Euh, non... me suis trompée, c'était le
petit chaperon rouge ça.
Je reprends : j'étais en train de marcher tranquillement sur mon chemin
habituel pour, non pas rentrer chez moi, mais aller au resto chinois,
quand je crois un jeune homme qui, bien entendu, ne manque pas de
m'interpeller par un retentissant « dievoushka ». Fatiguée et lasse de
ces interpellations, je ne réponds pas, je ne tourne même pas la tête,
bref, je me réfugie dans ma bulle imaginaire et je maudis
intérieurement tous les mecs qui ne peuvent s'empêcher d'emmerder les
filles, que ce soit par des « dievoushka », « mademoiselle », « t'es
bonne » ou par des simples sifflets.
Bref, confortablement installée dans ma bulle, je parcours quelques
dizaines de mètres de plus avant de me rendre compte que quelqu'un
marche juste derrière moi, que ce quelqu'un semble avoir le même trajet
que moi, et que ce quelqu'un ne souhaite apparemment pas me doubler,
mais juste me coller au train... Je ne me retourne pas, mais je reste
sur mes gardes et, effectivement, j'ai bien fait, car 30 secondes plus
tard, le TPLD (le Tadjik le Plus Lourd de Dushanbe) accélère légèrement
pour être à ma hauteur, me regarde avec son regard niais et son sourire
de benêt et commence à me parler. Une phrase, deux phrases, trois
phrases. Il ne semble pas remarquer que je ne réponds pas et que je ne
fais même pas l'effort de comprendre. A la quatrième phrase, je
commence à en avoir assez, alors je lui dis très sèchement, en russe,
que je ne parle pas russe et que je ne comprends pas ce qu'il me dit.
Grave erreur de ma part, il redouble de paroles, cherche à deviner de
quelle nationalité je suis. Je consens à lui dire que je suis
française, et puis pour le reste, je reprends ma technique habituelle :
a chacune de ses phrases, je hausse les épaules et je dis que je
comprends pas, sans même faire semblant de comprendre, ni même avec un
sourire d'excuse. Ce petit manège se poursuit jusqu'au souterrain aux
fleurs (soit quand même 15 minutes... il commence déjà à battre les
records celui-là).
J'ai moyennement envie de rentrer dans le souterrain aux fleurs, car à
cette heure ci, il est quasiment désert donc très lugubre, et puis en
plus avec l'autre qui me suit, ça me rassure pas des masses. Mais j'ai
pas trop le choix, c'est ça ou je me fais écraser sur la Rudaki, et ça non plus j'y
tiens pas trop. Je m'écarte le plus possible de mon « ombre » qui
marche désormais à côté de moi, et plus je m'écarte, plus il se colle.
Nous sommes maintenant au milieu des escaliers qui descendent dans le
souterrain, et je suis presque collée contre le mur. C'est à ce moment
là que le TPLD se rapproche encore plus que moi et commence à
m'effleurer la main. Alors là, c'est un comble. Je le repousse
violemment et lui dit, à moitié en anglais et à moitié en français (de
toute façon il ne comprend ni l'un ni l'autre) de dégager tout de suite
s'il veut pas avoir des ennuis. Ce demeuré hausse les épaules et me dit
d'un air narquois « ni panimayou, ni panimayou » (= « je comprends pas, je comprends pas » le truc que j'ai fait que lui répéter depuis un quart d'heure). Alors moi, avec un poing en l'air je lui dit « tu vas voir si tu panimayou pas quand je vais te mettre un coup de pieds dans les c....
». Bien sur il ne comprend pas ce que je dis, mais j'espère que mon ton
était suffisamment agressif (pour l'agressivité, en général, on peut me
faire confiance) et menaçant pour qu'il comprenne le message.
Je continue mon chemin, toujours talonnée par le TPLD qui, par contre,
ne cherche plus à entrer en contact physique avec moi. Je m'apprête à
remonter les escaliers quand je perds patience. Je m'arrête et lui dit
d'arrêter de me suivre et de dégager. Il me répond (par gestes) qu'il
va, comme par hasard, dans la même direction que moi. Alors je le
laisse passer galamment devant, attends qu'il soit 10 mètres devant moi
et recommence à marcher. Et du souterrain au fleur, jusqu'au parc
Lénine, cet idiot se retournera très régulièrement pour me sourire de
son air narquois, et moi je vais marcher le plus lentement possible
pour le laisser prendre le plus d'avance possible. Au croisement du
parc Lénine et de la rue qui mène à la guest house d'Acted, en général
je vais tout droit pour rentrer chez moi. Mais là, il faut que je
tourne à droite pour aller au resto chinois. Et moi ça ne m'enchante
guère car cette rue est très sombre, et comme par malheur, malgré mes
prières désespérées, le TPLD tourne AUSSI à droite.
Je traverse donc la rue avant de tourner à droite... Je sais que c'est
pas grand-chose une rue d'écart, mais j'espère qu'il m'aura oubliée ou
qu'il ne me verra pas. Mais une étrangère avec un sac à dos bleu ciel,
ça se voit autant qu'un bouton au milieu de la figure (je sais, la comparaison n'est pas des plus flatteuse, mais tant pis !).
Mais peine perdue, le TPLD me remarque quand même, et il remarque que
je jette des petits regards en coin pour être sure que personne ne
s'approche de moi puisqu'il me fait aussi de grands signes de la main.
Moi, j'accélère le pas, m'enfonce dans cette rue vraiment mal éclairée,
et prie pour que le restaurant ne se trouve pas trop loin, et qu'il
y'ait d'autres personnes là-bas (parce que c'est la première fois que
je vais à ce resto). Finalement, je vois les grosses lanternes rouges
qui indiquent que je suis bien arrivée, et Roshni se fait déposer à peu
près en même temps.